Femmes et religions du Livre

D'aucuns s'inquiètent des tensions et crispations que suscite auprès des pouvoirs religieux institués la question de l'émancipation féminine, à laquelle s'opposent les courants fondamentalistes qui refont surface en Occident au sein des « grandes » religions monothéistes. La presse ne cesse de dénoncer à juste titre les agressions des intégristes de toute obédience contre les femmes. Les religions incriminées n'auraient-elles donc engendré que discours d'exclusion et comportements agressifs à l'encontre des femmes ? N'ont-elles pas aussi représenté pour ces dernières une voie d'accès vers la culture, la vie publique ou le pouvoir et contribué à favoriser leur émancipation ? La question est actuellement reposée par les spécialistes du fait religieux, amenés à reconsidérer l'histoire des rapports ambigus que les religions entretiennent avec le genre féminin.  

Des débuts prometteurs

La plupart des traditions religieuses proposent une interprétation de la différence sexuelle et s'expriment sur les rôles respectifs de l'homme et de la femme dans l'économie du plan divin comme dans l'organisation de la société humaine. Judaïsme, christianisme et islam s'entendent pour reconnaître à l'homme et à la femme une égale dignité devant Dieu. Le premier récit biblique de la création établit une équation ontologique entre le mâle et la femelle, tout deux partenaires de Dieu, tandis que le second récit, posant la question éthique du rapport des sexes, présente la femme comme une interlocutrice que Dieu offre à l'homme en guise de vis-à-vis (Genèse 1 et 2). Dans son épître aux Galates (3, 26-28), Paul de Tarse transpose sous forme d'énoncé révolutionnaire les actes subversifs posés par Jésus de Nazareth : il n'y a plus désormais ni hommes ni femmes, mais seulement des fils de Dieu unis dans le Christ. Le Coran promeut pour sa part une stricte égalité de statut entre l'homme et la femme qui partagent la même faveur divine et sont soumis à des prescriptions identiques (Sourate al-Baqara, II, v. 228).

Des institutions et des hommes

Les discours dogmatiques et normatifs, issus d'une pensée masculine, prennent ensuite une tout autre tournure, une fois qu'il est question de répartitions des rôles dans la société. Celui dévolu aux femmes, soumises à l'autorité masculine et cantonnées à l'espace domestique, se retrouve tout autant magnifié que limité. On invoque leur état d'impureté récurrent (dû aux règles ou aux accouchements) ou leur fragilité congénitale pour justifier leur exclusion des fonctions et des espaces sacrés, mais on compte sur leur dévouement pour maintenir leur foyer dans une sage observance des préceptes. Face à des institutions religieuses qui réserveront pendant longtemps aux hommes la présidence du culte, le droit d'enseigner en public et le pouvoir d'administrer leurs membres, les femmes seront amenées, mais aux prix de multiples transgressions, à s'inventer d'autres espaces d'expression d'un religieux au féminin. Ainsi manifesteront-elles, par exemple, un engouement particulier pour les expériences mystiques qui privilégient une relation directe au divin, sans médiation institutionnelle, et suscitent une prise de paroles plus libre et plus originale.

Qu'en est-il du christianisme ?

C'est un lieu commun de dire que le christianisme et, plus encore, les institutions qu'il a produites ont forgé les principales argumentations utilisées pour maintenir la femme occidentale dans un rapport de soumission à l'homme et restreindre ses activités tant spirituelles que matérielles au domaine privé ou à la sphère domestique.

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Dès la fin du Moyen Âge, il est admis, et largement diffusé, que la femme, ontologiquement voulue par Dieu inférieure à l'homme, occupe, de ce fait, une place spécifique dans l'ordre de la création et se trouve, donc, nécessairement, en état de sujétion. Sa condition de fille d'Ève en fait un être fragile et dangereux. Première à avoir succombé à la tentation, la mère de l'humanité s'est aussitôt muée en redoutable tentatrice, entraînant ainsi son compagnon, puis sa postérité, dans une chute fatale. Les clercs concèdent, toutefois, à ses héritières des possibilités de rachat, pour autant qu'elles se soumettent à leur direction avisée, et choisissent, sur leurs conseils, l'état le plus approprié à leur condition (le mariage ou le cloître), avec pour référence l'image idéalisée et inimitable de Marie, à la fois vierge, épouse et mère.

Il n'en demeure par moins qu'au cœur de la civilisation chrétienne occidentale, les femmes n'ont cessé de revendiquer et de témoigner un furieux besoin d'exister et que l'autre moitié du genre humain a réagi de mille façons face à ces manifestations de vitalité. Autrement dit, condamnée ou louangée, marginalisée ou légitimée, la femme occupe une place considérable dans l'histoire du christianisme. Mieux encore, le christianisme sous toutes ses formes, a, en partie, favorisé le développement de la conscience féminine et l'implication des femmes dans la société, y compris dans les sphères du pouvoir.

La mise en relief de ces aspects ne doit en aucun cas minimiser les effets de la présence obligée de la gente masculine auprès des femmes, au sein d'institutions pensées et dirigées presque exclusivement par des hommes, ni les stratégies mises en place par les autorités religieuses et civiles pour surveiller et souvent contraindre ces femmes dans leurs moindres faits et gestes.

Mauvais genre

Au sein de l'Église catholique romaine, si l'égalité entre les êtres est maintenant reconnue et la dignité de la femme proclamée, le concept de nature est toujours invoqué pour définir son identité et lui assigner les rôles éternels d'épouse et de mère. Les autorités romaines condamnent de ce fait féminismes et études de genre pour leurs audaces à vouloir revisiter les rapports sociaux de sexe et remettre en cause la structure de la famille traditionnelle.

Traditions religieuses et défis sociaux contemporains ?

La problématique des rapports entre les droits des femmes et les religions s'est amplifiée au cours des années 1990. Organisée par les Nations Unies en 1995, la Quatrième Conférence sur les femmes de Beijing est reconnue comme l'un des lieux d'apparition, au plan mondial, de discours religieux sur les femmes. Alors que les féminismes commencent à venir à bout des patriarcats institutionnels, certains représentants des mondes religieux ont du mal à suivre le mouvement. Un nombre d'États appartenant aux familles islamique et catholique ont défendu l'autorité du religieux pour fonder une vision de la condition des femmes dans le monde et limiter leurs libertés d'action. De là, le débat s'est articulé autour de la priorité à donner aux droits universels des femmes ou aux particularismes culturels et religieux. Devant le danger que font courir ces relectures fondamentalistes des traditions religieuses, seules des exégèses historico-critiques des textes fondateurs, à laquelle malheureusement ces religieux semblent peu préparés, permettront de réconcilier discours religieux et revendications féminines.

Marie-Élisabeth Henneau
Août 2009

 

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Marie-Élisabeth Henneau est historienne. Ses recherches portent principalement sur l'histoire du christianisme occidental et sur l’histoire des femmes.