La Foire du livre, terrain d'enquête

L’approche de la Foire du Livre de Bruxelles, qui se tiendra du 1er au 5 mars 2012 à Tour & Taxis, est l’occasion de revenir sur l’intérêt que cet événement peut comporter en tant que terrain d’enquête dans le cadre d’une recherche universitaire. En effet, lors de l’édition de 2011, les étudiants de première et deuxième années de master en langues et littératures romanes qui suivaient le cours de Questions de sociologie de la littérature avaient eu l’opportunité de se rendre à la Foire du Livre pour y recueillir des informations sur la promotion des lettres en Belgique francophone, en France et au Québec. Ayant participé à l’expérience, nous sommes heureuses de revenir sur les bénéfices que cet exercice a apportés à notre formation.

FLB LogoDans le cadre du cours de Questions de sociologie de la littérature de l’année 2011 – dispensé lors de l’année dite par Björn-Olav Dozo, Denis Saint-Amand et Valérie Stiénon –, nous avions été chargées de réaliser un travail de recherche sur les différentes formes que pouvait prendre la promotion des lettres en Belgique, en France et au Québec. Ce projet visait à interroger, pour ces pays, les rapports entretenus entre la littérature et le pouvoir politique, à travers les aides accordées par celui-ci aux acteurs du champ : subsides octroyés aux auteurs ou éditeurs, bourses de déplacement, aides à la traduction, défense des droits d’auteur, prêts de résidences à l’étranger, distinction des artistes par l’attribution de prix, etc. Outre cette analyse du fonctionnement global des instances promotionnelles et de leur champ d’action concret, nous nous sommes également intéressées aux différentes représentations qui circulaient sur ces mêmes instances en procédant à une analyse de plusieurs types de discours : ceux des organismes, mais également ceux que tiennent les auteurs, éditeurs, libraires ou même professeurs sur l’institution en général ainsi que sur leur propre situation.

En vue de nous familiariser avec un objet qui échappait, dans son ensemble, à notre connaissance, nous nous sommes rendues à la Foire du Livre de Bruxelles (dont le thème était, cette année-là « Le monde appartient aux femmes ») pour interroger directement les auteurs et éditeurs belges, français (tous deux répartis sur plusieurs stands) et québécois (rassemblés au stand de Québec Éditions).

© Mertens Quentin

20090304 PO Mertens Quentin 364-0de71Cette démarche a comporté de nombreux intérêts. Tout d’abord, elle nous a permis d’entrer en contact avec les différents acteurs du monde du livre, contacts qui se sont révélés très utiles, dans la mesure où ils ont pour la plupart suscité d’autres rencontres. Les auteurs, éditeurs ou organisateurs que nous avons interrogés nous ont d’ailleurs surpris par leur disponibilité et leur bienveillance : plusieurs d’entre eux, heureux qu’on les interroge sur le sujet, ont pris le temps de répondre abondamment à nos questions. D’autres se sont montrés plus méfiants, mais la réserve dont ils faisaient preuve sur certaines questions n’en était pas moins, pour nous, une source d’informations digne d’intérêt.

La suite de ce texte s’attardera sur la promotion des lettres au Québec, expressément choisie en vue d’apporter sur elle quelque éclairage, étant donné sa nature méconnue. Le questionnaire qui a été soumis aux auteurs et éditeurs québécois (dont faisaient partie Brigitte Marleau, Rosette Pipar, et Jean-Pierre Charland) comportait deux versants : le premier concernait le fonctionnement global des instances promotionnelles ; le second interrogeait leur expérience individuelle dans le monde de la littérature. Ils nous ont permis de prendre conscience de la nature multiple de la promotion des lettres au Québec : celle-ci se décline en organisations professionnelles (qui ne proposent pas de soutien économique direct, mais représentent les auteurs ou éditeurs auprès des pouvoirs publics, défendent leurs droits,…) et en organismes pourvoyeurs de bourses et de subventions. Dans la première catégorie, on retrouve par exemple l’Association Nationale des Éditeurs de Livres (ANEL), l’Union des Écrivaines et des écrivains Québécois (UNEQ), ou encore Copibec, société de gestion collective des droits d’auteurs. La seconde catégorie contient, entre autres, la Société de Développement des Entreprises Culturelles (SODEC), qui, dans le domaine du livre, soutient financièrement les éditeurs, les libraires et les associations (mais pas les auteurs) ; ainsi que le Conseil des Arts et des Lettres du Québec (CALQ) qui, lui, vient en aide aux auteurs et aux artistes. Quant au discours tenu par les auteurs interrogés sur l’institution, il peut se résumer comme suit : le système de la promotion des lettres au Québec leur semble bien développé, et il est assez visible. Les diverses aides ont un impact, selon eux, qui est surtout financier et non symbolique, prestigieux (ce mérite revenant plutôt aux prix littéraires). Une critique est tout de même faite à la promotion des lettres : s’il y a beaucoup d’appelés, le nombre d’élus, lui, est extrêmement restreint, et limité aux auteurs déjà confirmés (cette politique accorde donc peu de poids à l’expérimentation, pour favoriser des pratiques plus rentables ou du moins plus entérinées). De même, les auteurs estiment qu’une augmentation du budget ne serait pas inappropriée. Ce discours doit toutefois être considéré avec réserve, puisqu’il est évidemment tributaire du parcours personnel des divers agents sollicités.

La Foire du Livre de Bruxelles a donc été la première étape du long travail de recherche qui allait suivre. Le résultat obtenu au terme de notre investigation – présenté ici très partiellement  – consiste en la constatation de la puissance, de l’efficacité, du dynamisme et du développement considérable de la promotion des lettres québécoise, dont le budget annuel est très élevé. Ce bilan doit tout de même être tempéré par la défaillance constatée de la politique d’exportation élaborée par les divers organismes promotionnels. En effet, il existe une forte distance entre le discours conquérant et optimiste des instances, et la réception réelle de la littérature québécoise à l’étranger, qui y reste absolument minoritaire et méconnue.

L’intérêt des enquêtes que nous avons menées à la Foire du Livre ne se limite pas à leur caractère informatif : cet exercice s’est, en outre, révélé être la première expérience d’une étude de terrain que nous n’avions encore jamais eu l’occasion d’effectuer lors de notre cursus universitaire. En d’autres termes, cette enquête nous a fait découvrir le versant pratique d’une formation qui reste le plus souvent très théorique, en nous mettant en contact direct avec l’industrie du livre et ses représentants. Confronter nos acquis théoriques à la réalité la plus contemporaine nous a permis de prendre conscience de la potentielle richesse, mais aussi des difficultés que représente une étude directement en prise sur l’humain.

La Foire du Livre est donc un événement qui intéressera tant l’amateur que le spécialiste : elle est, bien sûr, l’occasion de faire des découvertes, des rencontres insoupçonnées,… Mais elle représente également un outil intéressant pour le chercheur qui souhaite interroger le fonctionnement de l’industrie du livre en général, et, dans notre cas particulier, des divers modes de promotion de la littérature.

L’édition de cette année sera peut-être pour d’autres, comme elle l’a été pour nous, une nouvelle source d’apprentissage : elle aura cette fois pour thème « Sex, books & Rock’n’Roll », et célèbrera donc le pouvoir de contestation attribué à la littérature, ainsi que sa capacité à dégager l’individu de l’ordre étouffant qui vient régulièrement contrarier ses désirs, ses espoirs et ses libertés. L’événement se placera donc sous le signe de l’éclectisme, en s’ouvrant plus largement à une culture qui n’est pas forcément livresque. De quoi susciter une nouvelle fois la réflexion !

Fanny Barnabé, Charlotte Bertrand et Laurence Duchesne
Février 2012

crayongris2Fanny Barnabé, Charlotte Bertrand et Laurence Duchesne sont étudiantes en 2e année Master langues & littératures françaises et romanes.