Ernest de Bavière
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S'atteler aujourd'hui à la biographie historique n'est pas tâche facile. Longtemps, trop longtemps, l'histoire ne fut que récits d'événements glorieux et portraits de grands hommes. Une histoire de piédestaux, de trônes et de couronnes. Une histoire de monuments, de lauriers... et d'idoles. L'École des Annales réagit vivement à ces coups de projecteurs inondant de lumière quelques rares figures insignes et reléguant dans l'ombre les innombrables acteurs de l'histoire. Aussi l'histoire biographique, critiquée voire ostracisée, s'est-elle faite discrète. Pourtant, il est parfois encore nécessaire de hisser sous les feux de la rampe des « grands hommes » comme le fait aujourd'hui le Musée Curtius en organisant l'importante exposition qu'elle consacre à Ernest de Bavière à l'occasion du 400e anniversaire de sa mort.

Célébrer un anniversaire comme celui d'Ernest de Bavière, en effet, ce n'est pas seulement faire œuvre de commémoration et encore moins dépoussiérer de vieilles gloires, c'est aussi – et surtout – passer par le prisme d'un prince aux multiples facettes pour traverser l'épaisseur d'une époque de transition. Le parcours politique, culturel, économique et scientifique d'Ernest de Bavière nous offre des clés pour comprendre comment, sous l'égide de ce prince, la principauté de Liège a quitté la Renaissance pour entrer dans le 17e siècle.

Le 30 janvier 1581, le Chapitre cathédral de Liège élit un nouvel évêque : Ernest de Wittelsbach, le plus jeune frère du très catholique duc de Bavière Guillaume V. Autour du diocèse, les tensions sont à leur comble : dans les Pays-Bas voisins, le condottiere Alexandre Farnese tente de reconquérir, au nom du roi d'Espagne, les villes et provinces rebelles gagnées par le calvinisme. Du côté français, si une énième paix a été signée deux mois plus tôt entre les belligérants, les guerres de religion qui secouent le royaume depuis vingt ans ont considérablement affaibli l'autorité monarchique. Le frère du roi Henri III vient par ailleurs d'accepter la proposition que lui ont faite les rebelles des Pays-Bas : celle d'être leur nouveau souverain en lieu et place de Philippe II. La principauté de Liège, qui coupe en deux les Pays-Bas espagnols, tente vaille que vaille de défendre une position de neutralité, peu aisée à tenir. Dans ce contexte extrêmement tendu, le Chapitre cathédral liégeois, influencé par un jeu diplomatique serré, installe donc à la tête de la principauté un Bavarois, membre d'une des familles européennes les plus puissantes du moment et farouche championne d'un catholicisme flamboyant. Il sera le premier de la longue lignée de Wittelsbach qui, d'oncles en neveux, domineront la principauté jusqu'en 1723, presque sans interruption.

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Ernest est né à Munich en 1554, dernier enfant du duc Albert de Bavière et d'Anne d'Autriche, fille de l'empereur Ferdinand et nièce de Charles Quint. Élevé à la très catholique cour de Bavière de ses parents et pupille des jésuites, il devient évêque de Freising à l'âge de 11 ans. Il montera sept ans plus tard sur le siège épiscopal de Hildesheim. À ces deux évêchés, Ernest ajoutera ceux de Liège et de Munster ainsi que l'archevêché de Cologne qui lui offre la prestigieuse charge de Grand Électeur. Ernest, toutefois, n'est pas pour autant confit de dévotion. Joueur, séducteur, noceur, il ne se prive pas de goûter aux plaisirs galants et aux joies mondaines. Il ressemble bien peu à la nouvelle figure d'évêque que les prélats catholiques, réunis à Trente (1545-1563), ont tenté de forger : plus prince qu'homme d'église, habile négociateur plutôt que scrupuleux responsable des âmes, préférant les attraits des femmes aux reliques des saints, Ernest est un atout politique plus que spirituel pour une principauté qui en a bien besoin comme pour la famille de Bavière qui entend, par l'intermédiaire de son rejeton, maîtriser des postes-clés de l'espace rhéno-mosan.


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