Controverses autour des OGM agricoles et alimentaires
Contrairement à d'autres types d'organismes génétiquement modifiés, par exemple les OGM à vocation thérapeutique cultivés en milieux confinés, les OGM destinés à l'agriculture et à l'industrie agro-alimentaire défrayent la chronique et attisent l'opposition de nombreux groupes sociaux depuis leur apparition sur le marché dans les années 90.      

Pour comprendre, à travers cette controverse, l'évolution des liens entre science et société, et celle des relations entre chercheurs dans le champ scientifique des biotechnologies, nous avons rencontré Patrick du Jardin, chercheur et enseignant à la Faculté universitaire des Sciences agronomiques de Gembloux, également directeur de l'Unité de Biologie végétale, et impliqué dans ces questions depuis plus de 20 ans.

Un parcours professionnel suivant de près les controverses OGM

Partant d'un profil de chercheur « pur », Patrick du Jardin a commencé à travailler en laboratoire sur le développement des OGM, envisagés alors comme une technologie à développer, comme objet et outil de recherche. Déjà curieux des préoccupations sociales liées à ces technologies, il est une première fois interpellé par les médias en 1996 – à un moment où personne encore ne parlait d'OGM – et invité à participer à une émission de débat en tant qu'expert.  « On polarisait déjà un petit peu le débat : c'était « la science contre l'écologie ». »

Les marchés européens voyaient arriver à ce moment-là les premières cargaisons de soja OGM (résistants à l'herbicide RoundUp) en provenance des États-Unis. Pour Patrick du Jardin, une grande part de la controverse est liée à des questions de temporalité, qui « ont fait que la situation s'est très vite compliquée et  embrouillée. On a vu arriver ces cargaisons de soja à un moment où on ne s'était pas approprié, je dirais, cette technologie dans la réalité économique, la réalité de l'innovation, chez nous. Nous n'avions pas, finalement, une connaissance de cet outil au niveau de la société, et en particulier de ses applications agronomiques ».

La réglementation (sur les « Nouveaux Aliments » – ou « Novel Food ») n'était pas tout à fait prête non plus à ce moment, alors qu'elle devait clarifier parfaitement les méthodes d'évaluation des risques ainsi que les méthodes d'information des consommateurs. C'est aussi un contexte où le Parlement européen, lieu de négociation des normes juridiques européennes, voit monter en force (et organise) les porte-parole d'un certain nombre de courants politiques et d'ONG, parfois idéologiques, ou de groupes qui défendent certaines catégories de la population, ou encore des consommateurs regroupés en associations.

Enfin, cette période a vu apparaître plusieurs crises alimentaires : « ESB », dioxines, etc. Celles-ci ont eu un impact important : les consommateurs ont, en particulier, commencé à être attentifs à la qualité et à la traçabilité de leurs aliments, ainsi qu'à la nécessité d'une bonne évaluation et d'un contrôle des risques. Mais elles ont aussi mis en évidence le fait que les scientifiques travaillent sur des questions complexes, qu'ils ne peuvent pas tout prévoir, et donc que l'incertitude dans l'établissement des faits scientifiques est souvent bien plus grande que ce qu'on pourrait penser.  

Patrick du Jardin a été, suite à plusieurs interventions médiatiques, invité à rejoindre le comité d'éthique de l'INRA (France) destiné à l'examen des applications de la recherche agronomique en général. « Je me suis retrouvé dans ce comité à discuter avec des économistes, sociologues, juristes, philosophes... et j'ai beaucoup aimé ça ! Cela a beaucoup excité et satisfait ma curiosité. »

Il a, par la suite, rejoint des comités d'experts des risques au niveau belge et européen (à l'EFSA, Autorité européenne pour la sécurité des aliments, agence basée à Parme). « L'évaluateur de risques utilise un bagage scientifique, mais va quand même au-delà de la simple connaissance d'un outil, de la maîtrise du domaine disciplinaire qui est le sien. La démarche d'évaluation de risques est une démarche très méthodique, qui n'est pas toujours enseignée ».

Une même controverse... mais aux cadrages changeants

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Pendant les premières années de la controverse, fin des années 90, le débat s'est largement concentré sur la question des risques alimentaires et sanitaires, pour se déplacer progressivement sur la question des risques environnementaux, jusqu'à aboutir à des questions de maîtrise des risques économiques liés à la cohabitation (ou coexistence) entre filières agricoles. « On a ainsi vu plusieurs vagues de problèmes qui ont été mis sur la table, portés par les mêmes acteurs (militants écologistes, associations de consommateurs, producteurs bio...) », problèmes qui expliquent (du moins en partie) qu'on en soit resté à « une situation au niveau des OGM qui est quand même très bloquée en Europe ». Mais ces nouveaux cadrages n'ont pas complètement balayé les précédents ; tous ont plutôt coexisté, avec plus ou moins d'importance accordée à l'un ou à l'autre selon les moments de l'histoire.

Cette évolution des cadrages n'a pas été poussée par l'évolution des préoccupations scientifiques, mais par une dynamique « purement sociale » : « Il n'y a pas eu de faits scientifiques vraiment en rupture par rapport aux connaissances préalables, qui ont fait qu'une controverse a été lancée. La science a été mobilisée pour essayer d'arbitrer des combats idéologiques, ça certainement... Et puis aussi pour identifier et recommander des mesures pertinentes de gestion des risques. On renvoie par exemple au scientifique la question de la distance qu'il faut observer entre le champ OGM et le champ non-OGM pour minimiser la contamination. Donc on revient au scientifique, vers des données qui permettent d'objectiver certaines mesures de gestion de risques. Je pense qu'on est typiquement dans un contexte où ce ne sont pas des faits scientifiques nouveaux qui ont lancé une controverse ; c'est vraiment l'utilisation de l'outil, et l'image qu'on se faisait de l'outil. Le scientifique n'a sans doute pas eu le sentiment qu'il faisait des grandes ruptures, que ce qu'il faisait était si nouveau que ça... Ce n'est jamais qu'un morceau d'ADN et une protéine... Pourquoi en faire un foin comme ça ? ».


 

 

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