Se masquer pour se (re)trouver

Souvent le carnaval est présenté comme une soupape hors du temps ordinaire qui permet des comportements réprimés le reste de l'année. Cependant nos lectures et l'analyse détaillée de quelques carnavals traditionnels dont le Cwarmê de Malmedy1 laissent penser que ces carnavals fortement codés relèvent autant d'une suite de rituels que d'une fête sans limites. Expérimenter le sacrilège d'un carnaval traditionnel dans toute sa gravité n'est pas un donné mais un apprentissage long que le petit Binchois ou Malmédien acquiert dès son plus jeune âge. Ainsi, ils développent les nécessaires savoir, savoir-faire et savoir-être pour un jour devenir un authentique Gilles ou un Masque traditionnel malmédien, tout en reconnaissant et respectant la sainte intangibilité de certaines frontières. Le carnaval est alors un lieu moment particulièrement intéressant pour comprendre la société, ses rapports à l'autre, ses rapports à l'espace et bien entendu ses rapports à elle-même.

grossepolice

Ces activités, que nous rechignons à appeler folkloriques suite au galvaudage de ce terme, permettent une construction et un renforcement de l'identité qui passe par le culte d'un passé commun. Or, à Malmedy particulièrement, ce passé fut marqué par de nombreuses péripéties dont des passages de part et d'autre de la frontière. De nombreux rôles du Cwarmê encapsulent cette histoire si particulière. Allez à Malmedy en période carnavalesque, puis lisez la description du carnaval de Malmedy publiée par Henri Bragard dans la revue Wallonia en 1899, vous ne pourrez que constater plus d'un siècle de transmission sans presque d'altérations.

Après les cras djûdis (Jeudi gras) dont deux sont consacrés aux enfants, l'ouverture du Cwarmê se déroule le samedi précédent le Mardi gras. Le personnage de Grosse Police annonce le début du carnaval agitant une cloche sonnante. Ce masque assez récent, amalgame de la police prussienne et napoléonienne, est une caricature évidente de la garde bourgeoise qui proclamait les règlements en cours pendant le carnaval. Il accompagne le Trouv'lê jusque l'Hôtel de Ville auquel le Bourgmestre remettra les clés de la cité. Le Trouv'lê brandit une pelle en bois, emblème des brasseurs, annonçant sans doute que tout va être mis sans dessus dessous durant quatre jours d'excès.

Après une première sortie des quatre sociétés malmédiennes le samedi, c'est le dimanche que la grande parade carnavalesque regroupe tous les masques traditionnels et de nombreux chars. C'est alors que, d'année en année, on joue les mêmes scènes, on simule les mêmes marchandages, les mêmes menaces et les mêmes augures. Les carnavals les plus anciens ou les plus fidèles donnent à faire plus qu'ils ne donnent à voir. Après la danse de la Haguète munie de son Hape-Tchâr qui aurait jadis permis de traîner les cadavres pestiférés et lépreux jusqu'aux fosses communes, bien d'autres masques viennent relever le cortège de leurs frimousses ironiques. Toute une série de costumes, Lonkès-Brèsses (longs bras), Longs-Ramons (longs balais), Longs-Nés (longs nez), caractérisés par la disproportion et la longueur excessive sont apparus au 19e siècle.

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