La Foire du Livre de Bruxelles comme terrain d'enquête

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Dans le cadre de leur cours de Questions de sociologie de la littérature, les étudiants en Masters de 1re et 2e année enquêtent sur la promotion des lettres en Belgique francophone, en France et au Québec. C'est dans ce but qu'ils se rendront à la Foire du Livre de Bruxelles qui se tient à Tour & Taxis du 17 au 21 février.

«Deuxième salon littéraire francophone au monde», selon Hervé Gérard, le président de son Conseil d'Administration, le Foire du Livre de Bruxelles célèbre cette année une moitié de l'humanité avec leur slogan «Le monde appartient aux femmes». Ce thème se décline à de multiples niveaux. Par la qualité de ces invitées, d'Ingrid Betancourt, qui vient de signer son journal de captivité, Même le silence a une fin (Gallimard), à Françoise Lalande, récente auteure du magnifique La Séduction des hommes tristes (Luce Wilquin). En passant par la Finlandaise Sofi Oksanen, couronnée en 2010 par le Prix Femina pour son succès surprise, Purge (Stock), Laure Adler, biographe de Françoise Giroud (Françoise chez Grasset), Diane Ducret pour Femmes de dictateurs (Perrin) ou l'Américaine francophile Patricia McDonald qui publie un nouveau polar, Une nuit, sur la mer (Albin Michel). Ou par les nombreux débats centrés sur la femme, touchant au social, au sociétal, au politique ou au relationnel: les différences de salaire, leur place dans les médias, les relations sexuelles, la violence conjugale, les femmes dirigeantes, etc.

Parmi les nouveautés de cette année, pointons « Le palais gourmand », un vaste espace exclusivement consacrés aux livres de cuisine et à la gastronomie (tout lien avec le thème de la manifestation est évidemment fortuit). De grands chefs – comment dit-on pour les femmes ? – feront part de leurs savoirs lors de tables rondes ou d'animations et démonstrations culinaires suivies de dégustations (notamment avec Pierre Marcolini, expert es-chocolats). À signaler également la nocturne du vendredi placée sous le signe du polar (avec l'Islandais Arni Thorarrinsson, ou les Belges Nadine Monfils, Pieter Aspe et Michel Claise), de la poésie et de la bande dessinée (avec notamment les animatrices de la revue féminine érotico-humoristique Fluide G.). Ou encore une exposition consacrée à Gallimard à l'occasion de ses cent ans. Et aussi des lectures, des spectacles pour jeunes, des rencontres et, bien sûr, des séances de dédicaces. Parmi les nombreux invités présents, citons Mathias Énard, Françoise Rivière, Michèle Fitoussi, Jérôme Ferrari, Tahar Ben Jelloun, Charles Aznavour, Alexandre Jardin, Boris Cyrulnik, Régis Jauffret, Amélie Nothomb, Armel Job, Patrick Lapeyre, Éric-Emmanuel Schmitt, Véronique Olmi, Caroline De Mulder (dernier Prix Rossel), Christophe Ghislain, Caroline Fourest, Fatou Diome, Olivier Adam, Pierre Assouline, Ariane Le Fort, etc.

Réunissant pendant cinq jours en un même lieu les différents acteurs du livres – responsables institutionnels, éditeurs ou auteurs –, la Foire du Livre constitue un excellent terrain d'enquête pour les étudiants en Masters 1 et 2 chargés d'étudier la promotion des lettres telle qu'elle est appliquée en Communauté française de Belgique (La Promotion des Lettres), en France (Le Centre National du Livre) et au Québec (Le Conseil des Arts et des Lettres). Ils mènent ce travail dans le cadre du cours de Questions de sociologie de la littérature de Jean-Pierre Bertrand pris en charge par Björn-Olav Dozo, Denis Saint-Amand et Valérie Stiénon. « Comparer les modes de promotion de la littérature au sein de trois grands pays francophones, ce peut être un sujet intéressant, explique le premier, qui a successivement travaillé, les années précédentes, dans le cadre de ce cours et avec François Provenzano, sur la consécration littéraire et les rapports entre littérature et sciences. Cette année, nous nous sommes donné un objet dont les multiples aspects sont étudiés par différents groupes. Il s'agit d'une recherche collective sans préjuger des résultats à obtenir. Si la démarche proprement dite est riche en soi pour la formation des étudiants à la recherche, nous ne négligeons pas pour autant les résultats. Si nous parvenons à dégager quelque chose de neuf et de pertinent, nous voudrions laisser une trace par le biais, par exemple, d'un article dans une revue, comme ce fut le cas pour le séminaire sur la consécration en littérature il y a deux ans1

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Ce n'est pas un hasard si c'est à Liège que la littérature est étudiée dans une perspective sociologique. Avec son ouvrage L'Institution de la Littérature, paru en 1978 (et réédité en 2005), Jacques Dubois fait en effet figure de pionnier dans ce domaine. Il s'agit ici de comparer le mode de production de la littérature au sein de ces trois pays. « Nous voulons voir quelles stratégies ont été mises en place, poursuit Björn-Olav Dozo, et comprendre ainsi la conception qu'a le pouvoir politique de la littérature. Qu'est-ce qui est intéressant pour lui ? Et qu'est-ce qui ne l'est pas ? »

Pour la Communauté française, les étudiants vont s'intéresser au fonctionnement de la Promotion des Lettres, qui en est l'une des émanations. « Nous allons voir comment elle fonctionne, précise Denis Saint-Amand. En nous posant toutes sortes de questions : Quelles sont les différentes options de subvention ? Qui sont les écrivains subventionnés ? Et pourquoi ? Faut-il avoir un profil type pour l'être ? Ceux qui ne le sont pas, est-ce un refus de leur part ou est-ce parce qu'ils ne parviennent pas être ? Et qui envoie-t-on dans les écoles ? etc. En interrogeant la littérature avec une démarche sociologique, nous refusons de la considérer comme un objet de culte à approcher avec déférence, et préférons y voir une forme de communication particulière, dont la construction, les acteurs et les canaux peuvent être étudiés.

« Les étudiants doivent, à l'arrivée, nous fournir une synthèse mais également tenir un journal de recherche où ils notent ce qui leur semble important dans leur démarche, complète son collègue. L'objectif est de leur laisser formuler leurs propres questions. C'est un jeu d'équilibre entre leur imposer une manière de procéder et leur permettre de découvrir par eux-mêmes la manière de faire qui correspond le mieux à leurs objectifs. Les outils qu'ils ont acquis en sociologie, ils les mettent ainsi à l'épreuve sur des objets qui peuvent leur résister. Il y a là une forme de réflexivité dans le maniement de ces outils sociologiques et dans la pratique de la recherche. Si on venait avec quelque chose de blindé, de formaté, l'intérêt du séminaire serait moindre puisqu'on aurait déjà fait la recherche à leur place et on aurait une idée très normée que ce que l'on attend. Ce journal va également nous permettre de comprendre leur mode opératoire, de connaître les discussions qu'ils ont eues à l'intérieur du groupe, etc. »

L'un des groupes va se pencher sur Le Carnet et les Instants, la revue bimestrielle éditée par la Promotion des Lettres et destinée à rendre compte de la vie littéraire en Belgique francophone ainsi que de l'activité des auteurs belges, où qu'ils publient. Analysant son évolution et se demandant qui sont les auteurs référenciés et, par exemple, s'il existe des accointances entre les journalistes et les auteurs dont ils parlent.

 

Michel Paquot
Février 2011

 

 

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Michel Paquot est journaliste indépendant

 

 


 

La Foire du Livre de Bruxelles
du jeudi 17 au lundi 21 février.
Site de Tour & Taxis, Avenue du Port, 86c, 1000 Bruxelles.
Ouverture à 10h, fermeture à 20h les jeudi et samedi, à 23h le vendredi, à 19h le dimanche et à 18h le lundi.
Tarif plein: 7 €. Moins de 26 ans, groupes (10 personnes), séniors, demandeurs d'emploi: 5€.



1 Voir Björn-Olav Dozo et François Provenzano, « Comment les écrivains sont consacrés en Belgique », COnTEXTES [En ligne], n°7, mai 2010, mis en ligne le 03 juin 2010, consulté le 16 février 2011.