Constance Chlore, Atomium

ChloreAuteure belge vivant à Paris, Constance Chlore a publié deux romans, Nicolas Jambes tordues en 1998 et À tâtons sans bâtons en 2005, ainsi que de la poésie en revue. Atomium, livre présenté comme un « récit » par son péritexte, permet à cette écrivaine exigeante et talentueuse de marier ses deux veines d’écriture dans un texte ébouriffant, rythmé, mystérieux et fascinant. L’assise d’Atomium est bien entendu la fameuse Expo 58, explorée ici à la fois en tant que mythe (une Belgique heureuse qui n’existe plus) et qu’événement historique réel : des bribes de témoignages oraux de l’époque et d’informations factuelles parsèment le récit. En effet, au niveau formel, Atomium se veut résolument polyphonique et passe sans cesse d’une voix à l’autre. Deux voix paraissent presque extérieures à la narration, l’une étant froide, informative, savante, l’autre récoltant à chaud les impressions de visiteurs ébahis. La troisième voix est plus intériorisée, plus poétique et plus énigmatique : elle est le fait du personnage principal, pris de vertige et courant de boule en boule dans l’Atomium, à la recherche d’une certaine « Estelle Stellaire » au nom symbolique et d’une forme d’équilibre énergétique. S’y ajoute encore, en contrepoint de la liesse générale, la voix des Congolais voguant sans le savoir vers l’Indépendance. Ce concert de voix est conduit avec une maestria impressionnante, encore renforcée çà et là par des jeux sonores sur les signifiants, de sorte que le lecteur est emporté à vive allure, comme par un tourbillon. Constance Chlore se saisit ainsi d’un événement historique qui appartient à la mémoire collective des Belges sans jamais céder à la nostalgie belgicaine, belgo-bruxelloise et belge-à-papa que réveille d’ordinaire l’évocation de l’Expo. Elle s’appuie aussi sur un lieu bien connu et évite ainsi le danger d’un texte forclos sur lui-même, fermé sur sa propre virtuosité : elle crée une sorte d’équilibre entre la clarté et l’obscurité du sens. « Il n’y a pas d’énigme, écrit-elle. Le réel est le réel. » Soulignons enfin que ce long poème narratif se nourrit de poésie belge, d’Henri Michaux surtout, mais, comme le précise l’écrivaine à la fin du livre, de Chavée, Colinet, Dotremont, Dumont, Hamoir, Lecomte, Loreau, Neuhuys, Pansaers et Van Lerberghe ! Au lecteur de les retrouver dans les méandres d’Atomium.  

 

Laurent Demoulin

 

Constance Chlore, Atomium, Atelier de l’agneau, 2013.
 

 

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