Trois romans, trois visions de l’espace. Allers-retours entre science et littérature.

L’idée était simple : que peuvent dire de complémentaire une astrophysicienne et un chercheur en littérature sur quelques romans de science-fiction spatiale ? La mise en place du projet a été joyeuse mais plus compliquée. Il fallait tout d’abord arrêter un corpus – il y avait en effet trop d'oeuvres appréciées par les deux chercheurs enthousiastes. Après examen de différentes approches possibles – autant d'inspirations pour d'autres futurs travaux communs... –, c'est le thème des échanges réciproques entre science et littérature qui a été retenu pour ce texte : comment la littérature inspire la science, et comment la science fertilise l’imaginaire littéraire.


De la Terre à la Lune, de Jules Verne

terreluneY a-t-il un livre de science-fiction qui a eu plus d’impact sur la vie réelle ? Probablement pas. De la Terre à la Lune et sa suite Autour de la Lune ont fait rêver des milliers d’enfants. Parmi ceux-ci, quasi tous les grands pionniers de l’exploration spatiale : Constantin Tsiolkovsky, Robert Goddard, Valentin Glouchko, Hermann Oberth, Wernher von Braun ! Ce dernier sera d’ailleurs celui qui réalisera l’utopie de Verne, en envoyant les missions Apollo sur la Lune.

Évidemment, la réalité ne fut pas exactement une copie de la fiction. Inspiré par les canons de la guerre de Sécession, Verne imagine un canon pacifique lançant un obus habité vers notre satellite naturel. Belle idée, mais hélas irréalisable : La vitesse trop faible ne permettrait pas d’atteindre les hauteurs spatiales, l'accélération trop forte écraserait les passagers... Bref, les problèmes du roman de Verne sont nombreux. Goddard, Oberth et von Braun remplaceront le canon par une fusée «classique», avec un moteur utilisant divers liquides.

Hochdruckpumpe V-3Toutefois, l’idée de Verne fit long feu. Goddard utilisa une sorte de catapulte lors d’un essai en 1937 et von Braun conçut le «V3», installé à Mimoyecques dans le Pas-de-Calais pour bombarder les Anglais (photo ci-contre). Plus récemment, plusieurs projets ont vu le jour, comme le super-canon de Gérard Bull, intéressant un certain Saddam Hussein, ou le bien nommé «Jules Verne Launcher». Dans tous les cas, on oublie la partie «habitée», les mammifères étant assez fragiles, mais on lance bel et bien un satellite vers l’espace. Bien sûr, on peut prolonger l’idée en question : certains n’hésitent pas à envisager un tel canon... sur la Lune !

Mais Verne était-il le seul de son époque à rêver l’avenir à partir d’intuitions inspirées de la science ? Évidemment non. Dans la lignée du saint-simonisme, Verne croit en la science comme en un moyen d’améliorer la société. Cette idéologie positive de la science connaît aussi ses détracteurs. Robida, contemporain de Verne, met en garde contre les dérives potentielles, dans de belles œuvres dystopiques moins connues que celles de l’auteur d’Autour de la Lune. Robida se fait notamment chroniqueur de Paris au 20e siècle et présente différentes inventions technologiques étonnantes, comme le « téléphonoscope », sorte de télévision avant l'heure. On peut donc affirmer qu’il s’inscrit dans la voie anticipative au même titre que certaines des plus fameuses œuvres de Verne. Pourtant, le voyage dans l’espace semble rester du domaine de l’imaginaire pur pour Robida. Il sera, semble-t-il, seulement évoqué dans la parodie des Voyages extraordinaires qu’il livrera en 1879, avec son premier roman, intitulé Les Voyages très extraordinaires de Saturnin Farandoul dans les cinq parties du monde et dans tous les pays connus et même inconnus de M. Jules Verne. À un moment de ces aventures rocambolesques avant l’heure, Saturnin se fait emporter du haut d’un minaret par une comète qui l’emmène sur Saturne. Son retour en Asie fera de ce vol spatial une simple anecdote au sein de la parodie, historiette à ce point farfelue qu’elle pointe l’incrédulité d’un Robida par rapport aux prétentions lunaires de Verne. Ce petit exemple entend signaler en un mot combien la vision de Verne concernant l’espace, prenant sa conquête au sérieux, restait marginale à l’époque, même dans les milieux les plus ouverts aux « conjectures scientifiques rationnelles »… On comprend comment Verne a pu fasciner des générations de scientifiques.

Rama, cycle de  Arthur C. Clarke

ramaRama est un cycle de science-fiction de quatre tomes (Rendez-vous avec Rama, 1973 ; Rama II, 1989 ; Les Jardins de Rama, 1991 ; Rama révélé, 1993) dû à Arthur C. Clarke, auteur et inventeur britannique. Ce cycle, en particulier le premier volume, constitue une référence en « hard science fiction ». Il narre l’entrée dans le système solaire d’un vaisseau non identifié, qui va s’avérer habité, en soulevant des questions politiques, sociologiques et religieuses. Mais il va surtout s’assurer un degré de réalisme important à partir de différents « effets de réel », notamment deux excellentes intuitions scientifiques : la surveillance du ciel et la gravité artificielle par rotation. Ces « effets de réel » vont plus loin que la fonction d’inscription du texte dans notre réalité que leur reconnaît classiquement Barthes ; en effet, comme il s’agit d’un roman d’anticipation, ces effets de réel renvoient à une réalité à venir. Au moment de l’écriture du roman, ils n’ont pas d’existence autre qu’au sein de l’univers fictionnel du roman, pour lui donner une cohérence rationnelle (le penchant « hard science ») à partir de la réalité que nous connaissons. Ce qui est fascinant, c’est que l’un s’est concrétisé et que l’autre pose encore différents problèmes de réalisation, mais constitue toujours un problème rationnel, « réaliste », pour les chercheurs d’aujourd’hui.

Surveiller le ciel

Scrute-t-on le ciel aujourd’hui ? La question peut paraître bizarre, sachant que des milliers d’astronomes, professionnels et amateurs, l’observent chaque nuit. Pourtant, il ne s’agit pas ici de regarder une petite zone bien choisie, connue à l’avance. Non, il est ici question de « scruter », bref, de regarder si le ciel ne va pas nous tomber sur la tête.

Rama commence ainsi : par hasard, on trouve un objet dans le ciel, un objet qui se rapproche de la Terre, à la frôler même. Si cela arrivait, le repèrerions-nous ? À l’heure actuelle, la réponse est oui. Il y a notamment le projet Spacewatch, lancé en 1980 mais aussi la Spaceguard Foundation – fondée en 1996, elle tire son nom du roman de Clarke ! – qui chapeaute divers programmes vérifiant le ciel chaque nuit.

Ils cherchent principalement des géocroiseurs – ces comètes ou astéroïdes qui croisent l’orbite de la Terre quitte, un jour, peut-être, à entrer en collision avec notre planète. On les répertorie, on évalue le risque de collision. Et après ? Eh, bien, le jour où on en trouvera un dangereux, il faudra voir ce que l’on fait : l’observer, le pulvériser, le détourner, ou... le laisser faire en préparant des abris. Le jour où l’on en trouve un artificiel, non construit par l’homme, les étapes seront un rien similaires...


Page : 1 2 3 suivante