« Vers l'infini et au-delà ! » Le cinéma à la conquête de l'espace

Présent dès les débuts du cinéma, le thème du voyage dans l’espace répond aux besoins d’évasion, de rêve et d’aventure des spectateurs. Son traitement a connu de nombreuses variations au fil des décennies, en fonction, bien entendu, des découvertes scientifiques, mais aussi de l'inventivité des concepteurs d'effets spéciaux. De la fantaisie pure à la reconstitution documentée, des séries B aux spectaculaires superproductions hollywoodiennes, ces films de science-fiction passionnent souvent par la créativité, burlesque ou poétique, de leur mise en scène. Embarquement immédiat pour les étoiles. 

Universal-Pictures

Il faut bien s'y résoudre, peu d'entre nous ont eu ou auront l’opportunité de fouler le sol lunaire. Pourtant, nous avons tous une idée très claire de ce à quoi ressemble la Terre vue  de l'espace. Grâce aux photographies scientifiques, bien entendu, mais probablement plus encore grâce aux images du cinéma. En effet, il est fort à parier que les images qui nous viennent en tête à l'évocation des mots tels que « Terre », « Mars», « Saturne », « Voie lactée » ou « Trou noir » proviennent de films que nous avons vus tout au long de notre vie. Le cinéma a rendu visible ce qui nous était invisible (l’infiniment grand) et a rendu concevable le voyage dans l'espace bien avant que nous en soyons capables (le cinéma a marché sur la Lune longtemps avant que l'homme n'y fasse ses premiers pas). L’image de la Terre vue du ciel est devenue une icône du cinéma (et le logo même d’une importante société de production, la Universal, la première des « majors », qui domina le marché cinématographique dès les années 1920) alors que les scientifiques n’avaient pas encore de photographies satellite à disposition (les premières révélées ne datent que de la fin des années 50). Combien de films de science-fiction ne commencent-ils pas avec un plan sur l’espace constellé d’étoiles, situant la caméra elle-même quelque part dans l’espace, adoptant un point de vue abstrait, détaché, désincarné et flottant ? Combien de ces œuvres nous ont abreuvés d’images cosmiques que les plus perfectionnés des télescopes peinent encore à nous transmettre ? Prodigieuse prothèse fantasmagorique, le cinéma a mis en scène l’inimaginable : exploration intersidérale, découverte de nouveaux systèmes planétaires et d’autres formes de vie, franchissement de l’espace-temps… Reprocher au film de science-fiction son manque de réalisme est un bien mauvais procès ; son ambition n’est pas de restituer, mais d’imaginer. Singulièrement, les films aux intrigues relatives à la Lune se sont faits des plus rares à partir du moment où l’homme, en 1969, est allé réellement poser ses pieds sur l’astre lunaire. Aujourd’hui, la mystérieuse Mars perd chaque jour un peu plus de ses secrets et sera bientôt à son tour abandonnée par les intrigues épiques du cinéma. Heureusement, bien d’autres systèmes solaires attendent les scénaristes, premiers cosmonautes sans scaphandres, même si, en adéquation avec l’anticolonialisme de notre époque, la plupart des films contemporains développent un discours critique quant à l’idée de conquête spatiale1. Mais, comme chacun le pressent, les secrets de l’espace sont infinis et inépuisables.

this island earth2Le genre a souvent été mal aimé de la critique, jugé à la fois infantile (la SF comme rêve de petit garçon : imaginaire naïf et bariolé, argument narratif généralement simpliste emprunté à d’autres genres populaires comme le western ou le film d’aventure) et toujours potentiellement suranné (semblable aux appareils technologiques, la SF avoue son obsolescence programmée). Rien ne semble en effet vieillir plus mal et plus vite qu’un film de science-fiction, tant du point de vue de ses conventions de mise en scène (décor, mode vestimentaire, accessoires…) et de ses nécessaires effets spéciaux (toujours appelés à être dépassés et repérés par l’œil aguerri du spectateur), que de son intrigue narrative (les années 2000 ne ressemblent pas tout à fait à ce que pronostiquaient les films des années 50). Traitée en série B, avec de petits budgets jusque dans les années 70, la science-fiction s’est toutefois trouvé une large audience ces dernières décennies, sous la houlette d’une nouvelle génération de cinéastes (George Lucas, Steven Spielberg, Brian de Palma, Ridley Scott ou James Cameron, entre autres), développant un nouveau sens du spectaculaire au sein de l’industrie hollywoodienne.

De tout temps cependant, le cinéma de science-fiction, en raison de son objet (l’anticipation, la projection dans un autre espace-temps) s’est fortement ancré dans le contexte historique et idéologique contemporain de sa production, mettant à jour les fantasmes et les questions nés avec les progrès de la médecine et l’évolution des lois et des mœurs. Fondamentalement travaillé par la dichotomie qui le définit (science / fiction), le genre n'a cessé d’osciller, depuis les débuts du cinéma, entre réalisme et fantaisie, entre le souci de l’information et le plaisir de la multiplication des fétiches de pacotille.

Il serait bien entendu vain de lister, dans ces quelques paragraphes, les films qui, de près ou de loin, ont tenté de mettre en scène l'espace et sa conquête. Ces œuvres sont évidemment trop nombreuses et leurs formes, leurs ambitions, leurs projets narratifs par trop disparates pour se voir ici synthétisés. Par contre, il est sans doute moins impertinent d’essayer de répertorier rapidement quelques grandes figures, quelques images récurrentes, quelques motifs du corpus important du cinéma de science-fiction qui se consacre à l'exploration spatiale à travers deux de ses destinations de prédilection, l’astre lunaire et la planète Mars, pour comprendre comment l’espace est devenu ce dernier siècle l’un des nouveaux lieux favoris des fictions d’aventure.

Décrocher la Lune

Toutes les histoires de la science-fiction cinématographique commencent systématiquement par citer le célèbre Voyage dans la lune de Georges Méliès (1902). Il faut toutefois préciser que le film relève moins de la science-fiction, genre qui n'est alors pas encore constitué, que de la féérie, genre théâtral merveilleux à grand déploiement que Méliès, en homme de scène expérimenté, connaît bien. Ce très réputé premier voyage dans l'espace (au succès public triomphal lors de sa présentation à la foire du Trône avant d’être distribué dans toute l’Europe et les États-Unis) n’en laisse pas moins dans la tête des spectateurs de l'époque, comme des spectateurs contemporains, des images extrêmement marquantes dont, bien sûr, cette fameuse image de l'astre lunaire éborgné par le vaisseau spatial qui y atterrit brutalement. La science n’est ici qu’un décorum premier et un peu grotesque, vite remplacé par les excentricités des Sélénites. Dans la foulée de ces premiers pas lunaires, il faut citer d’autres fééries spatiales qui émaillent l’histoire du cinéma des premiers temps, comme le film de Gaston Velle, Voyage autour d’une étoile (1906) dans lequel un astronome, après avoir observé par l’intermédiaire de son télescope une jeune femme assise sur un quartier de lune, décide de partir explorer l’espace dans une bulle de savon. En 1909, Segundo de Chomon recycle plusieurs des motifs mélièsiens (dont le visage grimaçant de la Lune) lors d’un Voyage sur la planète Jupiter, offrant au spectateur quelques scènes d’anthologie (dont l’ascension de planète en planète par une échelle, restituée par un fantastique mouvement d’appareil et une ruse typique du metteur en scène). De son côté, dans un film inouï, The Motorist (1906), le Britannique Robert William Paul laisse s’échapper de notre planète un dangereux automobiliste pour donner à son véhicule de nouvelles routes : les nuages de la stratosphère, la circonférence de la Lune et les anneaux de Saturne.

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Gaston Velle, Voyage autour d’une étoile   -    Segundo de Chomon,Voyage sur la planète Jupiter




1 Voir Michel Chion, Les Films de science-fiction, Paris, Cahiers du cinéma, 2008, p. 42.

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