Cérémonie d'«arrestation» du roi en pays Bamiléké

Serge Schmitz et Dieudonné Lekané Tsoubgou1 se sont rendus au Cameroun en janvier dernier et ont assisté à une cérémonie d'« arrestation » du roi, cérémonie au cours de laquelle un des fils du roi Étienne défunt est désigné comme successeur  et arrêté pour être conduit dans la forêt sacrée, avec une ou deux reines, où il sera initié aux secrets de la chefferie et devra assurer une descendance mâle. Récit d'un week end en Afrique.

Les membres endoloris par cette expédition en pays Bamiléké, je me repose ce dimanche.

Cela a commencé vendredi tôt, trop tôt. Je devais prendre un bus dans lequel je resterai assis trois heures à l'arrêt en attendant d’enfin quitter la ville. Néanmoins, le spectacle était là et j'étais aux premières loges pour voir la rue et ses nombreux petits métiers s'entremêler. Des vendeurs de fruits, de bonbons, de râpes à légumes même. Quelquefois, ils montent dans le bus pour vendre un paquet de Lotus, du pain, des cachous mentholés. Puis, le bus se met en position de départ mais il reste encore dix places libres sur les cent dix. On devrait les occuper. Quelques coups de klaxon, nous attendrons encore quelques minutes. La ville est traversée, on découvre le palais des congrès sur la colline, plus loin, le fameux Mont Fébé, la propriété présidentielle, puis les dernières stations service. Bientôt la forêt, ses baobabs et autres types d'arbres dont je ne connais pas le nom. Après une heure, nous arrivons au pont sur la Sanaga, ce large fleuve où les piroguiers pêchent du sable. Il y en avait une dizaine de chaque côté du fleuve. Et au centre, les flots majestueux de la confluence. Après une heure de plaine alluviale, nous arrivons à la ville de Bafia, puis aux premières collines, et enfin dans l'Ouest bamiléké. De riches citadins, enfants du pays, y ont construit leur palais. Les villas ne sont pas en ville mais là où est leur sang. La forêt est plutôt dégradée par  les cultures omniprésentes : palmiers à huiles, caféiers, maïs, ignames, patates douces, safoutiers, manioc, raphias...  Selon Dieudonné, les Français ont fait usage de napalm contre ce peuple fier et dangereux. Dans les livres, on parle de 300.000 morts.

Après avoir traversé Bafoussam, il reste cinquante kilomètres pour Dschang où les Fotos pleurent leurs morts. Il y a deux deuils ce week-end : une des mamans du grand chef Momo (Ils ont plusieurs mamans comme ils ont plusieurs dames, car les chefs prennent plusieurs épouses afin d'assurer une descendance riche et nombreuse) et un autre deuil plus ancien qui, selon l’histoire orale, daterait du 31 septembre 2011 ! Il s'agit du chef Étienne qui régnait sur le village de Litagli.

archeAprès sept heures de car et de nombreux péages et contrôles policiers, après avoir croisé nombre de marchés et de braconniers qui vendaient, qui des « hérissons », qui un bébé boa, nous descendons enfin à l'entrée de la chefferie de premier rang. Bien que située deux kilomètres plus bas, une arche annonce que l'on s'approche de Sa Majesté. Il y a un petit village avec les nécessaires et habituels commerces, beaucoup de circuits (ces débits de boissons). Il y a aussi les mototaxis qui guettent les clients déchargés par les bus et autres taxis-brousse. « 1000 francs » propose le premier, cela paraît déraisonnable. Nous avançons plus loin pour chercher la concurrence, mais les prix s'affolent quand on voit un blanc qui, en plus, va à la chefferie.  Finalement, nous marchons un peu avant de rencontrer une mototaxi qui nous charge tous les deux pour 200 francs. Encore une arche avec deux statues de lions et deux énormes défenses d'éléphant, le chef Momo ne doit plus être très loin.

Nous descendons à pied un peu anxieux de commettre un impair. Sur la droite du chemin, il y a des cases d’apparat avec chacune son animal fétiche. Puis une place de terre battue et deux tonnelles, à droite ce sont les hommes, à gauche les femmes, au centre il y a le trône du Roi qui n'est pas à l'extérieur pour l'instant. Dieudonné me dit de le suivre de près et de me comporter comme lui. Il commence à se lamenter en mémoire de la défunte. Par petits pas et selon les consignes discrètes d'un proche du roi, nous allons à droite ou à gauche. Les femmes se lèvent et font écho à nos pleurs. C'est un grand ballet, presque un opéra, et je suis un peu gêné de mon air pataud et de mon pantalon rougi par la poussière. Le Roi sort et nous nous approchons, ou plutôt nous nous tenons à une distance de plus ou moins dix mètres, pour lui présenter nos condoléances suite à la perte de la Reine Anne. Nous nous retirons ensuite sous la tonnelle des hommes avec un des fils de la chefferie.

Près des femmes, il y a un « autel » avec des objets de la défunte, histoire de mettre en valeur ses qualités et compétences. Nous avions presque oublié d'aller saluer le corps dans une petite chambre. La défunte dans son cercueil de verre est habillée tout de blanc, une vraie princesse en robe de mariée. On nous propose de boire quelque chose et on nous introduit dans un des salons du roi.  Il y a de nombreux fauteuils. Le siège réservé à Sa Majesté est recouvert d'une peau blanche. Il y a des photos aussi : le Pape Jean-Paul II en visite à la chefferie, différents ambassadeurs également. Il y a aussi de belles petites tables-tabourets en bois noble sculptées à l'effigie des animaux de la forêt. Je reçois un Fanta et bientôt je me retrouve seul avec Dieudonné, la messe vient de commencer dans la cour d'honneur. Le lendemain, il y aura les éloges funèbres.

Après l'office, Sa Majesté Momo, vient s'entretenir avec nous. Il siège majestueux, des chaussures Adidas sous son habit traditionnel. Il roiMomoéchange quelques mots dans la langue bamiléké avec Dieudonné puis me souhaite la bienvenue en français. Dieudonné explique que je suis son co-directeur de thèse et que je fais des recherches sur le tourisme rural. Le Roi me parle des quelques cases d'hôtes qu'il a fait construire. Après quelques minutes, nous passons à d'autres sujets de conversation.

 Quand on vient voir le Roi, on frappe dans ses mains pour s'annoncer. Alors Sa Majesté fait un signe qui indique si l’on peut entrer ou si on doit attendre. Nous restons dans le salon, nous saluons deux reines, très belles et pourtant très différentes. Quant aux frères bamilékés, nous les saluons tempe contre tempe, quatre fois. C'est un peu étrange, mais je m'adapte, c'est moi l'étranger. Dieudonné m'explique que le Roi est également sous-préfet, qu'il possède ses propres plantations, qu'il touche une part des transactions foncières issues des terrains communautaires et qu'il bénéficie des largesses de ses sujets expatriés à Douala, à Yaoundé ou ailleurs.


Sa Majesté Momo Sofak1er, 8e roi de la dynastie  Foto



 

1 Dieudonné Lekané Tsoubgou a présenté sa thèse intitulée Microfinance  et développement communautaire au Cameroun à l'Université de Yaoundé II en décembre 2011. Cette thèse était codirigée par le Professeur Kegné Fodouop de l'Université de Yaoundé II et le Professeur Serge Schmitz de l'Université de Liège. 

Photos : Dieudonné Tsoubgou, 28 janvier 2012.

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