Il y a 125 ans à Spy...

En juin 1886, dans la petite cavité de la Bètch aus Rotches, à Spy, deux jeunes chercheurs liégeois reconnaissent, au milieu d'ossements animaux et de silex taillés éparpillés devant eux, des restes humains similaires à ceux découverts trente ans plus tôt à Neandertal. Conscients du caractère exceptionnel de ces vestiges, ils poursuivent leur travail de terrain – cette fois avec prudence – et trouvent un deuxième squelette. La découverte dépasse probablement toutes leurs espérances ! Grâce aux observations stratigraphiques, paléontologiques et archéologiques effectuées sur place, ils sont les premiers à pouvoir apporter les preuves suffisantes de l'existence, et de l'ancienneté, d'un type humain de morphologie différente de celle de l'homme actuel.

Les fossiles de Spy et de Neandertal sont à jamais liés, comme tous ceux découverts au cours du 19e siècle. Les 125 ans de la découverte de Spy permettent ainsi de revenir sur cette page importante de l'histoire de la paléoanthropologie. L'Homme de Spy n'aurait pu avoir une telle notoriété sans les découvertes antérieures qui ont peu à peu préparé les esprits ; celui de Neandertal serait peut-être resté classé parmi les cas pathologiques modernes non élucidés ou enseveli comme cosaque inconnu.

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Portrait de Max Lohest © ULg/Galerie Wittert   -   Portrait de Marcel De Puydt © IRSNB/D.R. 

Mais cet anniversaire permet avant tout de rendre un hommage aux pionniers de la recherche. Inscrits dans une époque et une culture, ils ont œuvré parfois envers et contre tout pour dépasser les idées préconçues. Marcel De Puydt et Max Lohest, malgré des coups de pioche parfois un peu trop francs, sont de ceux-là. Comme les archéologues actuels, ils n'ont trouvé que ce qu'ils ont cherché, et ils n'ont cherché que ce qu'ils connaissaient ou... pressentaient. Grâce à leur détermination, ils ont posé un nouveau jalon et confirment cette maxime : le seul ennemi de la science, c'est l'ignorance. Non les religions.

Bon filon

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Grotte de Spy © Guy.Focant/SPW

Mais qu'est-ce qui attire ces deux jeunes chercheurs à la grotte de Spy, il y a 125 ans ? Quelques années plus tôt, en 1879, A. Rucquoy, jeune médecin namurois, est l'un des premiers à ouvrir le sol. Au vu de sa collecte, il y a tout lieu de croire en la richesse du gisement. M. De Puydt, archéologue amateur, propose ainsi à M. Lohest, alors géologue à l'Université de Liège, d'entreprendre des fouilles sur la terrasse de la grotte demeurée intacte. En plus des frais, ils se partagent les trouvailles, le premier gardant les silex, le second les ossements. C'est ainsi que, dès l'été 1885, ils commencent une première campagne. Après avoir fait exploser les blocs calcaires qui encombrent le site, ils creusent une tranchée exploratoire, qui leur permet de repérer un niveau riche en ossements, ou ossifère. Sur la proposition de leur fouilleur, Armand Orban, et par souci d'économie, ils entreprennent de le suivre comme le ferait un mineur d'un filon. Une galerie est creusée et boisée soigneusement tandis que, du fond, A. Orban remue la terre à la lueur d'une bougie et rapporte progressivement des mannes de sédiments qui sont ensuite triées à la lumière du jour.

Deux squelettes archaïques

Ossements

C'est donc au milieu d'ossements et de silex taillés éparpillés sur le sol qu'une partie d'un premier squelette néandertalien (appelé plus tard « Spy 2 ») est identifiée. Sa position n'est relevée ni en plan, ni en coupe, et le crâne est fracturé en une quarantaine de fragments.

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Ils renoncent ainsi à la solution rapide et économique pour poursuivre avec davantage de prudence. 2,5 mètres plus loin, leur dévoué Orban, découvre encore (selon ses propres dires) des os humains. Un deuxième squelette partiel de Néandertalien (« Spy 1 ») est mis au jour. L'individu paraît couché sur le côté droit, la main appuyée contre la mâchoire inférieure. Il est placé à peu près en travers de l'axe de la grotte, la tête vers l'est, les pieds vers l'ouest. Soucieux d'assurer l'authenticité de ces fossiles, dès début juillet, les inventeurs dressent un procès-verbal décrivant a posteriori la coupe géologique de la terrasse de la grotte. Ce relevé se fait en présence du paléontologue Julien Fraipont, professeur à l'Université de Liège, qui a lui-même déterminé l'aspect archaïque des ossements. Rapidement, la découverte a un retentissement international. Un an plus tard, en 1887, J. Fraipont et M. Lohest publient la première monographie sur les ossements de Spy, La race humaine de Néanderthal ou de Canstadt en Belgique. Recherches ethnographiques sur des ossements humains découverts dans les dépôts quaternaires d'une grotte à Spy et détermination de leur âge géologique. D'une simple race humaine à une espèce distincte, voire une sous-espèce, le débat semble annoncé.

Portrait de Julien Fraipont. © ULg/Galerie Wittert

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