Controverses climatiques
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Nous voyons la beauté de l'Antarctique
  et le danger représenté
par le réchauffement climatique,
ainsique l'urgence d'agir.
Je suis déterminé à le faire.

Déclaration du secrétaire général des Nations-Unies
lors de sa visite en Antarctique,
12 novembre 2007

Le début du 21e siècle aura été marqué par l'écho croissant donné au message militant de la lutte contre « le réchauffement » (ou « changement ») climatique. Nous n'allons bien sûr pas retracer ici toute l'histoire de la montée en puissance de cet enjeu politique et scientifique du «changement climatique», ni l'ensemble des arguments qui s'affrontent, mais proposons de montrer certains des effets de ces évolutions scientifiques et sociales controversées sur la pratique scientifique de la climatologie. Pour pénétrer ce sujet « chaud », nous avons interviewé Michel Erpicum, climatologue et enseignant, directeur du laboratoire de climatologie et de topo-climatologie de l'Université de Liège, et également président de l'Association Internationale de Climatologie.

 

Deux grandes dimensions de la controverse seront abordées dans cet article : d'une part, la question de la fragmentation de la discipline climatologique en véritables « écoles de pensées » différentes, basées sur des méthodes mais aussi des éthiques du chercheur différentes ; d'autre part, le débordement des enjeux scientifiques par – ou vers – des dynamiques sociales ou politiques, qu'on observe notamment en étudiant le rôle des médias dans la controverse climatique.

 

Quand il y a climatologie... et climatologie

Michel Erpicum nous rappelle tout d'abord que la théorie du changement climatique doit être prise pour ce qu'elle est : une théorie. Or, celle-ci semble reposer sur des preuves et démonstrations pour le moins discutables, qui ont donné naissance à des polémiques nombreuses entre scientifiques et groupes sociaux, en particulier autour du lien de causalité direct (et souvent unique) établi entre CO2 et réchauffement climatique. Ce message, colporté par le GIEC et les grands laboratoires de climatologie, se veut sans équivoque, voire dogmatique, et oblige chacun à se positionner – pour ou contre –, sans permettre un débat respectueux à partir des arguments qui sont avancés... et ce même au sein de la communauté scientifique des climatologues.

Mais peut-on vraiment parler d'une communauté scientifique, qui serait homogène ? Selon Michel Erpicum, la réponse est clairement non : la controverse définirait même une nouvelle ligne de fracture au sein des « climatologues ». D'un côté, il y a les climatologues « de terrain » qui étudient  le climat au niveau local ou régional et, de l'autre, les climatologues « du climat mondial et de la modélisation à long terme, qui travaillent à l'échelle           globale ».

« Météorologues, géologues, physiciens, biologistes, sociologues, économistes... beaucoup de ces spécialistes se déclarent « climatologues » maintenant ! La plupart  veulent avoir leur mot à dire. Et ils recourent souvent à des « à peu près », ou à des affirmations non étayées pour entrer dans la corporation des porteurs de ce message des Nations-Unies. Certains élaborent des grands modèles de prédictions, des projections audacieuses sur 50 voire 100 ans fondées sur des scénarios-types, avec des degrés de certitude ou des pourcentages de vérité... qui relèvent souvent d'hypothèses très simplificatrices...  Mais à quoi cela aboutit-il ? Ce n'est souvent plus de la science !  »

« J'étais climatologue avant que la climatologie ne devienne à la « mode ». Au début de ma carrière, mes collègues « météorologues » se moquaient de la « climatologie ». Je suis et je reste un climatologue des climats locaux et régionaux, un climatologue de la "vérité terrain"  et je reste sur la voie de la vérité, en m'efforçant de signaler ce qu'on ne connaît pas. Il y a encore beaucoup de choses qu'on ne connaît pas en matière de climatologie ! : Le premier satellite météorologique ne date que du milieu des années 60 et l'océan concerne près de 70% de la planète !  »

 

Rechercher la vérité ou légitimer un changement désiré ?


Mais cette fracture est également une fracture entre scientifiques de la « vérité terrain », se refusant à faire des extrapolations hasardeuses, et scientifiques « d'opportunisme », mobilisés pour affirmer et quantifier l'importance du lien CO2-climat (la véracité de ce lien conditionnant des milliers d'emplois en climatologie et dans la société dans son ensemble), et modéliser l'ampleur des risques futurs encourus. C'est donc aussi la modalité des liens entre science et société qui définit cette fracture, certains scientifiques entrant dans une logique clientéliste inacceptable pour d'autres.

« L'opportunisme, c'est pratiquer la chasseaux financements, de tous côtés, et par tous les moyens !  Ils font de la climatologie" pour augmenter les rentrées financières de leurs laboratoires. D'ailleurs, actuellement , pour qu'un projet de recherche ait plus de chance de passer, il faut qu'on lui trouve une relation avec le « changement climatique »

« Personne, ni le citoyen ni l'homme politique, n'a envie d'entendre qu'il est responsable. Et donc, ça continue. Des hommes politiques et de nombreux climatologues vivent de cela. Et donc c'est biaisé... »

Une telle fracture se manifeste pour Michel Erpicum par le glissement de certains scientifiques dans la politique ; ce glissement a pour conséquence qu'ils ne peuvent plus dire (ni laisser dire) certaines choses, en particulier mettre en avant les incertitudes scientifiques, car leur objectif a changé. Il ne s'agit plus tant de rechercher la vérité scientifique que de plaire au citoyen, de répondre à ses attentes (voire de les construire), en encourageant une action politique qui se veut visible et efficace : « En matière de production d'électricité nucléaire en Belgique, le plus bel exemple que je puisse donner est l'acharnement absolu contre ce secteur ( production  de plus de 50 %  de l'électricité nationale) ne  rejetant aucun gaz à effet de serre dans l'atmosphère et donc excellent  pour le bilan carbone de notre pays ! »

Ce glissement de la science vers la politique (ou serait-ce le contraire ?) est dénoncé comme« vicieux », car il apparaît comme une nouvelle forme d'instrumentalisation de la science, menant à de la désinformation et de la propagande... alors que la science doit être « pure ».

Pire encore, la controverse oriente les lignes de financement de recherche, au niveau national ou international, si bien que peu de moyens restent disponibles pour étudier le climat autrement que dans le « paradigme » du réchauffement climatique. Les arguments divergents sont niés : « On ne veut pasleur laisser la parole. On a peur des études contradictoires. On ne veut pas leur donner les moyens de continuer à travailler. Parce qu'ils ne vont pas dans le « bon » sens. »

Ceci participe d'un mouvement plus large où l'on ne laisse pas s'exprimer les avis divergents d'autres climatologues, ou par exemple des géophysiciens, qui nuancent les thèses« réchauffistes » (sans forcément les contredire intégralement) ; autrement dit, que ce soit en public, dans les institutions internationales, et même dans les revues scientifiques de renom, nous assistons à la montée en puissance d'un esprit sectaire ou dogmatique, en nette opposition avec la pratique scientifique telle que décrite par Popper, et cautionnée par l'adhésion d'une large part de la population qui craint pour l'avenir de ses enfants. Le réchauffement climatique ne serait-il plus discutable, sous prétexte qu'il faut agir ? Mais la nécessité d'agir doit-elle empêcher la dynamique de connaissance ?

 

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