De RST à 48FM, 30 ans de radio étudiante

Petite histoire d'une radio étudiante qui a su, vaille que vaille, traverser les époques, depuis les prémices des radios libres à la diffusion web d'aujourd'hui.

Devant la multitude des stations disponibles de nos jours, on peine à imaginer qu'il y a encore une trentaine d'années, le paysage radiophonique belge ne propose qu'une diversité limitée à ses auditeurs. À l'aube des années 80, les postes ne réceptionnent que le réseau de la puissante RTBF, ainsi que quelques stations françaises et luxembourgeoises (RTL en tête). Le monopole détenu par la radio publique interdit toute autre source d'émission, les brigades de la RTT veillent et les amendes sont lourdes. Malgré cette chape de plomb, l'heure est à la libéralisation des ondes à travers toute l'Europe et plusieurs stations pirates apparaissent un peu partout dans le pays. L'Association pour la Libération des Ondes voit le jour en 1978 avec une revendication simple, dépénaliser l'activité radiophonique non-publique. Ses membres, radios alternatives, militantes ou de combat, occupent la bande FM de manière illégale et défendent des projets qui ne bénéficient d'aucun écho médiatique, comme Radio Eau noire à Couvin. Les initiatives se répètent un peu partout sur le territoire et, en 1980, plus d'une cinquantaine de radios libres émettent en parfaite illégalité. À Louvain et Bruxelles, les premières radios étudiantes occupent elles aussi l'antenne.

« Le cas louvaniste nous a clairement inspirés » raconte Étienne Baise, étudiant en chimie à l'époque, et membre de la première équipe à l'origine de Radio Sart Tilman. « C'était presque un pari à la base, un défi lancé à la communauté étudiante liégeoise. On ne pouvait pas ne pas disposer nous aussi d'une radio, même si nous n'avions aucune expérience en la matière ! » Les lieux de rassemblement manquent et la plupart des étudiants ne côtoient que rarement ceux d'une autre faculté. « L'esprit de campus » que les autorités appellent de leurs vœux, n'existe pas dans les faits. Cependant, une population éclectique d'étudiants se retrouve et vit ensemble sous le même toit, au home du Sart Tilman. À l'initiative d'une poignée d'entre eux, le projet prend vie, dans une relative improvisation. Avec du matériel rudimentaire, un studio rapidement installé dans un local inoccupé du bâtiment, la petite équipe diffuse quelques heures de programmation quotidienne : « Cela a un peu commencé comme une blague. Un mini-émetteur, qui nous permettait juste de couvrir le home, une table de mixage, deux platines et quelques micros. Nous n'y connaissions pas grand-chose mais l'envie était là » se remémore Marc Lacroix. Les autorités académiques n'interdisent pas l'activité, qui reste illicite, et ne s'en préoccupent pas davantage. Radio Sart Tilman, qui ne porte pas encore officiellement ce nom, est née.

Petit à petit, le projet fédère les enthousiasmes, l'équipe s'étoffe, le champ de diffusion s'élargit et la grille des programmes s'encombre rapidement d'émissions en tous genres, dans une belle cacophonie. Culture, musique, politique, interventions en langue étrangère : « Le home regroupait une population tellement hétéroclite, tellement cosmopolite que nous disposions d'un afflux permanent de sang neuf, d'idées nouvelles, de contenu. » En plus de la population étudiante, l'antenne s'ouvre à toute une série d'associations, de groupes et mouvements qui y disposent d'un canal de diffusion. « Le moins que l'on puisse dire, c'est que c'était très varié » explique Patrick Biren, un des membres fondateurs. « La radio des travailleurs liégeois côtoyait l'émission ˝Ca bouge dans les sous-bois˝, animée par un certain Jacky Morael, avant que ˝Radio passe-muraille˝ ne donne la parole au monde carcéral. Il arrivait même que certaines personnes piquent la clé du studio pour diffuser une émission pirate. Faire cela sur une radio elle-même hors-la-loi, avouez que c'est assez piquant ! »

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Embrouilles et débrouille

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Si les années 80 voient la naissance et le développement des radios libres, leur existence demeure effectivement illégale. Aucun émetteur installé sur le sol belge ne peut diffuser autre chose que les programmes de la RTBF. La juridiction du moment reste assez floue et son interprétation laisse parfois à désirer. Le premier décret autorisant une libéralisation partielle des ondes et dessinant un premier cadre légal n'apparaît qu'en 1985.   « Nous n'étions pas autorisés à émettre, mais nous n'étions pas non plus empêchés de le faire. Et nous profitions du soutien et de la complicité des autorités académiques pour continuer à diffuser nos programmes », poursuit Marc Lacroix. Université d'État, l'ULg est en quelque sorte maîtresse chez elle. Aucun représentant de l'ordre ne peut violer son enceinte sans en référer aux autorités académiques. Qu'il s'agisse de la police ou des brigades mobiles de la RTT, l'Université doit être prévenue, par avance, de leur arrivée. Un délai qui donne évidemment le temps de passer un petit coup de fil totalement désintéressé... 

« Malgré tout, on ne se cachait pas vraiment. Il n'était pas difficile de nous trouver avec notre antenne de 20 mètres perchée sur le toit. Mais la radio avait ses supporters et tous les habitants du home la soutenaient. » Et s'il faut aller jusqu'à s'attrouper autour des brigades de la RTT pour les dissuader de fouiller le bâtiment, aucun problème. « Nous avons dû connaître deux ou trois descentes, et même si nous avons dû rapidement démonter le matériel, nous n'avons jamais été réellement inquiétés » se souvient Étienne Baise.

Année après année, la radio s'agrandit, noue des contacts privilégiés avec la Fédération des étudiants, qui la soutient financièrement : « À l'heure actuelle, monter une radio ne coûte presque plus rien mais il y a 30 ans, cela restait très prohibitif. L'achat d'un émetteur pouvait rapidement plomber un budget, sans parler de la console de mixage, des enregistreurs, des bandes magnétiques... Il fallait parfois ruser et user du système D. » Une débrouille poussée à l'extrême puisque l'équipe est même allée jusqu'à construire son propre émetteur de toutes pièces ! Marc Lacroix, alors étudiant en physique, profite d'un passage par le Cyclotron de Louvain-la-Neuve pour s'entretenir avec Yves Jongen et pose, sans le savoir, les jalons d'une collaboration professionnelle future : « En me renseignant auprès de spécialistes, j'ai acquis pas mal d'expérience et de contacts qui m'ont, par la suite, permis de décrocher mon premier emploi. Emploi que je n'aurais jamais eu sans mon passage par Radio Sart Tilman. »

RST arrose désormais le grand Liège, ce qui n'est pas sans poser quelques problèmes de cohabitation avec les radios voisines. Les ondes sont sans cesse parasitées par les signaux des nombreuses antennes qui émettent à des fréquences bien éloignées des réglementations actuelles, non sans créer quelques tensions : « C'était un peu à celui qui émettrait le plus fort, et nous n'étions pas les derniers à ce petit jeu là, sourit Marc Lacroix. On a eu quelques échanges pour le moins virils avec une station concurrente. »

Pendant près de cinq ans, RST gagne en notoriété, reçoit le soutien du directeur de la RTBF de l'époque, Robert Stéphane, mais doit rapidement faire face à différents problèmes. Structure bénévole et associative, la radio dépend presque exclusivement des budgets alloués par l'Université et la Fédération des étudiants. En outre, elle ne peut compter que sur la motivation de ses membres. « Le travail de l'ombre était important, pas toujours reconnu et usant à la longue. Au fur et à mesure, on s'implique davantage dans l'organisation interne, dans la gestion administrative et l'animation devient presque secondaire » précise Étienne Baise. Les étudiants des débuts terminent leurs études et quittent peu à peu le navire, la relève peine à suivre et, suite à de gros problèmes logistiques et financiers, l'année académique 86-87 sonne le glas de cette première tentative de radio universitaire liégeoise.

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