Flash sur Yasmina Khadra, écrivain
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L'écrivain algérien francophone Yasmina Khadra, de son vrai nom Mohammed Moulessehoul, a reçu le 25 novembre dernier, à Liège, le prix "Campus de Cristal" 2010, distinction octroyée chaque année par la Haute école de la Province de Liège à une personnalité du monde médiatique. En soirée, Y.K. participait à une rencontre publique au Palais des Congrès  dans le cadre des Grandes Conférences de Liège sur le thème de  l'obscurantisme. Selon l'ASP, la manifestation aurait accueilli 1700 participants, record qu'aucun écrivain  n'aurait encore enregistré en ces lieux.

Avec Yasmina Khadra, nous assistons bel et bien à un phénomène médiatique. Internationalement reconnue, son œuvre est faite de best-sellers. Les romans touchent à la fois le grand public et les milieux scolaires, sans doute en raison de la dimension éthique et spiritualiste qui éclaire des récits pourtant très sombres. Or si l'humanisme de Khadra  trouve autant de résonances auprès du public occidental, ce n'est pas, comme on a tendance à l'affirmer, parce qu'il parvient à dépasser un « fatalisme »  facilement imputable  aux références musulmanes de son œuvre, mais parce que l'écrivain se plaît à explorer de l'intérieur l'existentiel de ses  personnages qui, lorsqu'ils s'engagent pour ou contre la violence, le font toujours en décalage par rapport à la doxa idéologique dans laquelle ils sont pris. Par rapport à l'obscurantisme,  la trajectoire du personnage de Khadra, qu'elle soit positive ou négative, reste toujours dialogique ou dialectique et c'est dans cet interstice que passent la lumière, la poésie, et un humanisme qui confine, dans la foi et l'amour de l'homme pour la vie, à un spiritualisme  parfois assez simple mais qui place au-dessus de tout la liberté de l'art et de la pensée.  L'homme de Khadra pourtant ne fait pas le poids devant l'organisation scélérate des guerres idéologiques qui lui enlèvent ses rêves et il ne croit pas que passer d'un camp de la violence à l'autre changerait quoi que ce soit à son désastre. Son humanisme est un pacifisme absolu et désespéré, curieusement incarné au cœur des pires guerres de notre temps. Que le romancier raconte son Algérie natale en proie à la guerre civile coloniale et à la déchirure d'un tissu humain que la vie avait uni (Ce que le jour doit à  la nuit), qu'il évoque, dans l' Algérie d'une époque plus récente,  la montée de l'intégrisme criminel (À quoi rêvent les loups), qu'il situe l'action de son récit au cœur du Moyen-Orient, opposant  puissances occidentales et  rébellions islamistes (L'Attentat, Les Sirènes de Bagdad) ou décrive l'enfer du régime des Talibans en Afghanistan (Les Hirondelles de Kaboul).

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Mais qu'en est-il de la littérature ? L'écrivain commence par écrire des romans noirs, sortes de polars sociaux (associés à la figure du Commissaire Llob) qui, en dépit des distanciations que permet le genre – notamment l'emploi de la langue verte – , sont traversés par un grand souffle critique et laissent présager de la teneur des romans futurs. Quant à ces derniers, déjà partiellement cités, on y distinguerait volontiers une forme de constante : la vue physique d'un crime, d'un attentat ou encore le premier passage à un acte de violence plonge le personnage-sujet dans l'horreur, lui fait perdre tous ses repères. Il bascule alors dans un état second dont il ne se relèvera plus qu'en  obéissant à « la Cause ». Il devient aussitôt prisonnier du système dont il est la proie. Coupé des siens et de la vie, il se transforme en victime ou en agent de représailles fratricides. Tel semble être le paradigme basique qui souffre évidemment de subtiles variations. Y.K. excelle dans l'introspection de ses personnages. Il nous fait partager les affres de l'humiliation, de la frustration et de l'horreur, décrit ce qui opère chez un homme « comme vous et moi » et que la violence  métamorphose jusqu'à en faire « la mort en marche ». À l'inverse,  un personnage positif comme le héros de L'Attentat, médecin, juif algérien de Tel-Aviv, qui découvre que son épouse est la kamikaze de l'attentat dont il recueille les blessés dans son hôpital,  accomplit une tout autre trajectoire : décidant de comprendre, il ira jusqu'en Afghanistan affronter les instigateurs du crime et retrouvera, au prix de sa vie, la lumière de la vérité.

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Le substrat autobiographique présent dans la plupart des récits permet des échappées poétiques dans ce monde des ténèbres. C'est là que l'écrivain  libère son lyrisme et sans doute ses propres fantômes (l'on sait, qu'en tant que militaire gradé de l'armée nationale algérienne, il a fréquenté de près le terrorisme dont il parle). Magistrale est à cet égard la finale du roman Les Hirondelles de Kaboul qui atteint au tragique poétique le plus pur. C'est le cas également  de  l'agonie du médecin, héros de L'Attentat qui, arrivé au terme de sa quête de vérité, entre dans la mort comme dans un rêve d'enfant : « (...) dans une chorégraphie magique, les murs se redressent, les poutres au plafond se recouvrent de tuiles ; la maison de son grand-père est debout dans le soleil, plus belle que jamais ».  Mais à travers le romantisme désespéré de ses héros, Khadra met à nu les froides logiques des pouvoirs et des idéologies qui s'affrontent.

C'est la fameuse  trilogie sur les guerres au Moyen-Orient  qui consacre  la renommée internationale de l'écrivain : romans, situés respectivement en Afghanistan (Les Hirondelles de Kaboul), à  Tel-Aviv (L'Attentat), en Irak et à Beyrouth (Les Sirènes de Bagdad). L'écrivain y explore les fondements subjectifs, religieux, culturels et économiques de la guerre entre Orient islamique et Occident  capitaliste. La trilogie de best-sellers est toutefois encadrée d'un roman de nature autobiographique (L'Ècrivain), qui a toute son importance. S'y trouve définie la posture humaniste de l' « écrivain » face à la force du pouvoir militaire.  Par ailleurs, dans ce roman sur sa propre jeunesse brutalement amputée de la tendresse familiale, Y.K.  livre à son lecteur les principaux thèmes sensibles du jardin secret de ses souvenirs liés à sa première enfance algérienne. Thèmes que l'on retrouvera transposés dans deux récits touchant de plus près à l'expérience algérienne déjà citée (Ce que le jour doit à la nuit, À quoi rêvent les loups ).

 

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