Pierre Alechinsky : Récit d'un itinéraire pictural
Alechinsky-portrait

Tout en étant exemplaire de continuité et de cohérence, l'œuvre de Pierre Alechinsky a de quoi nous surprendre. En comète, elle traverse tous les champs de la peinture, y zigzague, s'autorise toutes sortes d'excursions et de détours, sans jamais renoncer à deux principes : la souplesse du geste et la prolifération des formes. Mais le plus surprenant réside encore ailleurs : dans cette capacité d'invention et de renouvellement que le peintre démontre depuis plus de soixante ans.

Né à Bruxelles, le 19 octobre 1927, d'une mère belge et d'un père russe, Pierre Alechinsky quitte l'enseignement secondaire à l'âge de 17 ans pour étudier les techniques du livre à l'École nationale supérieure d'Architecture et des Arts décoratifs de La Cambre. Commençant son trajet par la gravure, Alechinsky entre dans le groupe de la Jeune Peinture Belge en 1947. Il a alors vingt ans et il est déjà de ceux dont une toile rend celui qui la contemple plus léger, plus rapide, plus vif. Gaucher contrarié, Alechinsky réserve sa main gauche au dessin et réalise, dès ses débuts, une œuvre marquée par le signe et la matière. On le dirait alors volontiers « matériologue », sans craindre le néologisme autorisé par l'exemple de Dubuffet, tant il prend alors de plaisir à jouer avec les textures. En 1949, il devient membre du groupe COBRA (COpenhague, BRuxelles, Amsterdam) et s'engage, avec Christian Dotremont, dans une vision de l'art dominée par l'expérimentation, les créations partagées, la liberté du geste, le refus des conventions et le décloisonnement des genres. La rencontre avec les peintres du mouvement Cobra sonne comme une libération. Il la relate dans ses « Souvenotes », un ouvrage publié en 1977 :

Cobra, c'est la spontanéité ; une opposition totale aux calculs de l'abstraction froide, aux spéculations misérabilistiques ou « optimistiques » du réalisme-socialiste, à toute forme de décalage entre la pensée libre et l'action de peindre librement ; c'est aussi une ouverture internationaliste et une volonté de despécialisation (des peintres écrivent, des écrivains peignent). P. A. [comme il se désigne] se lance immédiatement dans le travail d'organisation du mouvement, assiste Dotremont dans la fabrication des numéros de la revue et la coordination des expositions. Travail de saute-ruisseau, apparemment inutile pour un peintre, mais cela donne le temps à P. A. de réfléchir, de se charger...

Alechinsky

Dictée par ces nouveaux impératifs, la peinture de Pierre Alechinsky évolue sensiblement. Le geste devient plus libre et le signe gagne en mobilité. À l'instar d'Asger Jorn, autre membre du groupe COBRA, l'artiste belge en appelle à une « spontanéité irrationnelle »1 qui triture la matière pour en faire éclore, non une forme, mais un univers plastique mouvant2 . « Il s'agit moins de décrire une forme que de peser une matière »3, écrira Pierre Alechinsky en 1951 dans la revue Cobra. Dans cette perspective, l'image ne constitue plus une fin en soi, mais la trace d'une expérience corporelle où l'écriture tient une place centrale. L'irruption de l'écriture dans l'espace pictural se perçoit déjà dans Les Hautes herbes (ci-contre), une toile présentée en 1951 à la 2e Exposition internationale d'art expérimental de Liège. Faite d'un enchevêtrement de signes qui prive le spectateur de se fixer dans un schéma équilibré, cette œuvre manifeste déjà la volonté qu'a le peintre d'inventer un vocabulaire personnel et de mettre en place une dynamique de fusion entre peinture et écriture.

Ci-dessus : Pierre Alechinsky, Les hautes herbes, 1951, huile sur toile, Madrid, Museo nacional, Centro de Arte Reina Sofia
 


 

Toutes les photos de l'auteur ou de son œuvre sont soumises au droit d'auteur. Elles sont reproduites ici avec l'aimable autorisation de Monsieur Pierre Alechinsky que nous remercions vivement.

1 Expression utilisée par l'artiste danois Asger Jorn, autre membre du groupe COBRA.
2 Laoureux Denis, Histoire de l'art 20e siècle. Clés pour comprendre, Bruxelles, De Boeck, 2009, p. 128
3 Alechinsky Pierre, « Abstraction faite », dans Cobra, n° 10, 1951, p. 4.
 

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