Lectures pour l'été 2017 - Poches - Essais & documents

FlaubertGustave Flaubert, Le Gueuloir (Points/Le goût des mots)

Flaubert l’a dit et écrit, il « gueulait » ses textes « comme un énergumène ». Ce « gueuloir » se situait soit dans son bureau, soit au fond du jardin de Croisset, selon Thierry Gillyboeuf qui, dans sa préface, se demande si ce ne serait pas aussi sa correspondance particulièrement abondante. La lettre participe en effet chez lui d’un « métabolisme vital », elle joue « un rôle compensatoire et exutoire où l’écriture s’affranchit de toutes les contraintes de la littérature ». L’écrivain n’hésite pas à s’y montrer caustique, dénonçant notamment l’esprit bourgeois qu’il a en horreur, tout en faisant part de ses conceptions sur la vie, l’art et la littérature. Ce bref volume reprend une sélection d’extraits de lettres qui reflètent le caractère de son auteur et témoignent de ses ambition d’écrivain. « Le seul moyen de n’être pas malheureux, c’est de t’enfermer dans l’Art et de compter pour rien tout le reste (…) », écrit-il à Ernest Chevalier en 1945. Et à Louis Colet : « Le seul moyen de vivre en paix, c’est de se placer d’un bond au-dessus de l’humanité entière et de n’avoir avec elle rien de commun, qu’un rapport d’œil. » Ou encore à George Sand, quelques années avant sa mort : « Le mot ne manque jamais quand on possède l’idée. »

 

 

ErmanMichel Erman, Bottins proustiens (La Petite Vermillon)

Ces Bottins proustiens pourraient bien devenir le bréviaire des lecteurs, occasionnels ou assidus, d’À la recherche du temps perdu. Son auteur, spécialiste de l’écrivain, y propose deux dictionnaires, l’un des personnages, l’autre des lieux. Le premier « relève autant de la gageure que de la nécessité », estime-t-il, car Proust n’est pas un portraitiste réaliste et les personnages existent aussi par ce que l’on dit d’eux. Quant à répertorier les lieux présents dans ce « roman-cathédrale », c’est d’autant plus utile que, comme le remarque le préfacier, la représentation de l’espace est « à la fois concrète et imaginaire ». « Avant d’être incarnés, bien des lieux sont d’abord des toponymes pour les héros qui les imagine, en explore les variantes sonores et les variations thématiques. »

 

 

DebrayDebray-candideRégis Debray, Carnets de route (Quarto) & Un candide à sa fenêtre (Folio)

C’est la consécration pour Régis Debray, omniprésent sur le terrain éditorial (plus de vingt ouvrages en dix ans) : Gallimard, son principal éditeur, lui a en effet ouvert les portes de sa très belle collection Quarto. Carnets de route est un volume de plus de mille pages sous-titré « Écrits littéraires ». N’ont en effet été retenus que les textes écrits à la première personne du singulier. « Le je murmure. Ce qui se murmure ou chantonne s’entend souvent mieux, et plus longtemps, que ce qui se vocifère », note en introduction cet éphémère juré Goncourt qui rappelle que, chez lui, les nouvelles et récits ont précédé les essais et dissertations.  « Ayant toujours fait route le stylo à la main, ces écrits littéraires forment autant de jalons plantés étape après étape. » D’où sa volonté, contrairement à l’ordinaire dans Quarto, d’imbriquer l’œuvre dans la vie. Ses écrits viennent ainsi s’intercaler, au fil de leur rédaction, dans sa biographie abondamment illustrée. Sont repris, parfois en extraits (pourquoi ?), ses deux premières nouvelles, Un jeune homme à la page et La frontière (1967), un court extrait de L’indésirable (1975), La neige brûle (1977), Les masques (1987), Comète ma comète (1986) et Loués soient nos seigneurs (sur sa période cubaine, 1996). L’ouvrage se termine par des textes divers : le pamphlet Contre Venise, le monologue L’Apostat, les pièces de théâtre Happy Birthday et Benjamin, dernière nuit, ainsi que quelques textes divers (Le bel âge, Le plan vermeil, etc.). L’occasion de découvrir un homme et un écrivain que les nouvelles générations connaissent peut-être moins, ou pas.

Dans le même temps, un Debray « actuel » est réédité en poche, Un candide à sa fenêtre, qui fait suite à Dégagements. Ce sont autant de courtes réflexions (souvent à partir de son vécu) où le médiologue dresse un état des lieux forcément (férocement ?) subjectif, moqueur et souvent dépité, parfois grognon, du monde tel qu’il va. La plume légère, et parfois frivole, il entretient son lecteur de tout et rien. Il confie par exemple son amour pour les seconds rôles du cinéma français (qu’on identifie mais dont le nom nous échappe) et son désamour pour le Salon du Livre de Paris comparé à une « discothèque de jour », s’aperçoit qu’il est difficile, pour un étudiant des années 50 « d’être contemporain de son temps », etc.

 

PeltJean-Marie Pelt & Pierre Rabhi, Le monde a-t-il un sens ? (Babel Essai)

Paru en 2014, le texte de Jean-Marie Pelt, qui constitue la première partie de ce bref livre, est l’un des derniers publiés par le botaniste mort l’année suivante. Il y défend le principe d’associativité, « la manière dont les entités simples s’associent à deux ou à plusieurs pour aboutir à des entités plus complexes avec émergence de propriétés nouvelles ». Il observe donc l’évolution de l’univers, du Big Bang jusqu’à l’homme, en s’arrêtant à ses paliers successifs. Divisée en douze chapitres regroupés en trois parties – le monde minéral, le monde vivant et l’humanité –, cette réflexion parle notamment des symbioses, du cerveau et des sociétés humaines, et se termine sur la question du sens. Pour rappeler que cette notion n’est en rien incompatible avec les acquis du darwinisme. Au contraire, « par son universalité », elle « rend l’évolution de l’univers cohérente, significative, porteuse de sens. À tout le moins si le mot signifie “direction” ». Dans sa contribution, Pierre Rabhi pose la question de l’avenir de l’humanité et plaide pour une « insurrection des consciences ».

 

 

LoridanMarceline Loridan Ivens, Et tu n’es pas revenu (Le Livre de Poche)

Marceline Loridan-Ivens, 89 ans, s’adresse à son père avec qui elle a été déportée à Auschwitz et qu’elle n’a ensuite plus jamais revu. Elle raconte sa vie le camp, son retour difficile, l’abandon de son nom, Rozenberg. Et sa rencontre avec le documentariste hollandais Joris Ivens, avec qui elle réalisera des films jusqu’à la mort en 1989. Deux ans avant son propre retour à Auschwitz-Birkenau, dont elle tirera un long métrage avec Anouk Aimée, La petite prairie aux bouleaux (traduction de Birkenau), récemment édité en DVD. Une fois par mois, celle qui dit : « On le sent toute sa vie qu’on est revenu », dîne avec des amis survivants.

 

 

 

WinockMichel Winock, François Mitterrand (Folio Histoire) et La France républicaine (Bouquins).

«Ce qui est tout à fait passionnant, surprenant et original dans son cas est d’avoir été plusieurs personnes, non pas de façon successive, ce qu’on est toujours plus ou moins dans une longue vie, mais de manière simultanée. Il ne désavoue rien, il ne se repend jamais, il cumule les figures, les personnages, les rôles et reste jusqu’au bout tout ce qu’il a été. » Voilà comment l’historien Michel Winock définit le président français auquel il a consacré, après d’autres (Lacouture notamment), une biographie très fouillée. « Entre distance et empathie, j’ai voulu comprendre cet homme, sa puissance de séduction, ses faiblesses, ce qu’il pouvait avoir d’attachant, d’intelligent et de lucide », confie celui qui, sans vraiment l’aimer, avoue avoir toujours voté pour lui. Se débarrassant de l’anecdote et du superflu, il a travaillé en historien pour tenter d’atteindre la vérité d’un homme issu de la droite et devenu l’artisan de l’Union de la gauche puis le premier président socialiste de la Ve République. Un homme riche en contradictions. Dont celle, qu’il souligne, d’être passionné par l’histoire sans en comprendre ses évolutions (la décolonisation, notamment).Winock-France

Cette biographie est, au fond, un focus porté sur ce qui passionne Michel Winock, l’histoire politique de la France du 19e au 21e siècle. Cette histoire fait l’objet d’un volume de la collection Bouquins, La France républicaine. D’après son auteur, elle peut être lue en fonction de trois clivages : religieux, institutionnel et politique (la lutte des classes). Le premier oppose d’abord les catholiques et les protestants, puis les cléricaux aux anticléricaux ; le deuxième confronte la monarchie à la république qui prendra différentes formes, avec l’intermède impérial ; le troisième touche, à la « question sociale ». Après avoir défini quelques notions indispensables – nation, populisme, démocratie, fascisme, laïcité…– , Winock retrace près de deux siècle d’histoire de France sous un doubla angle thématique et chronologique : les idéologies, la société, les gauches, le communisme, la droite. En terminant par des temps d’arrêt sur des épisodes spécifiques de son évolution ; juin 48, l’élection du président de la République, l’esprit de Munich, la Guerre d’Algérie, jusqu’au 11 janvier 2015.

 

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