Antoine Compagnon, Un été avec Baudelaire et L’âge des lettres

Compagnon-BaudelaireAprès les succès d’Un été avec Montaigne et d’Un été avec Proust (ouvrage collectif), l’universitaire spécialisé dans l’analyse littéraire poursuit sur sa lancée avec Un été avec Baudelaire. Cette tentative de cerner en une trentaine de courts chapitres une œuvre «multiples et éparse», était une double gageure. D’une part l’auteur des Illuminations est «le poète du crépuscule, de l’ombre, du regret, de l’automne», donc très peu estival. D’autre part, certaines de ses conceptions peuvent sembler «déplaisantes», voire «nous scandaliser». Le pari était dès lors d’autant plus passionnant. Et il est, comme on s’en doute, amplement réussi.

L’essayiste s’appuie sur des poèmes ainsi que sur d’autres textes (extraits de sa correspondance, notes biographiques) pour illustrer différentes facettes du poète et de son œuvre. Du réalisme, dont est taxé Les Fleurs du Mal lors du procès de 1857, mais avec lequel Baudelaire avait pris ses distances, à son «heureuse fortune posthume» – il est le poète français le plus étudié aujourd’hui – qui tranche avec «l’affreuse misère de sa vie» ressassée dans ses lettres à sa mère. En passant par son rejet de l’idée de progrès affirmée lors de l’Exposition universelle de 1855 («fanal obscur», «invention du philosophisme actuel» dont il veut se «garder comme de l’enfer»), par son caractère «violent», «vitupérateur» qui le pousse à éreinter, voire à insulter ses contemporains, par son refus de la démocratie (anti-égalitaire, il est contre les droits de l’homme et le suffrage universel), par son regret du Paris pré-haussmannien, par sa haine de l’armée, sa défense de la modernité, sa «muflerie» à l’égard des femmes, etc. L’auteur des Antimodernes insiste également à plusieurs reprises sur le caractère anticonformiste et provocateur du poète qui n’hésite pas, par exemple, à se teindre les cheveux en vert, sur son langage cru (la Belgique en fait les frais) ou sur son dandysme (appellation dont il se revendique et qu’il définit). (Éditions des Équateurs)

 

compagnon-lettresDans son livre d’entretiens avec Jean-Baptiste Amadieu (Une question de discipline, Flammarion, 2013), Antoine Compagnon parle de son amitié avec Roland Barthes comme «des années capitales dans [sa] vie», qui sont celles de son «basculement professionnel» puisqu’après sa mort, l’étudiant qui se destinait au métier d’ingénieur devient professeur à l’Institut français de Londres. Il lui semblait dès lors logique d’apporter son témoignage à l’occasion du centenaire de sa naissance et d’ainsi lui «rendre grâce» pour ce qu’il lui a apporté. L’âge des lettres s’ouvre sur des lettres retrouvées dans un placard parmi lesquelles figurent celles de Barthes. Le moment est-il venu de les publier ? Compagnon se souvient que la première fois qu’il a vu celui qu’il nomme «Roland», qui mourra en février 1980 renversé par une camionnette de blanchisserie, il était à mobylette et a «dû freiner pour l’éviter» alors qu’il traversait au rouge. L’homme ne lui était pas inconnu puisque, quelques années auparavant, aux concours scientifiques, il avait eu bien du mal à condenser l’un de ses textes. Il va néanmoins assister pendant un an à son séminaire à l’École pratique des Hautes Études «conçu comme un espace utopique et euphorique». Si le sémiologue lui déconseille de revenir l’année suivante, l’étudiant et le maître prennent néanmoins l’habitude de dîner ensemble une fois par semaine.

Le jeune homme rédige sa thèse, dactylographiée sur une machine électrique qui appartenait à son mentor (présent à sa soutenance), dont la première partie deviendra son premier livre, La seconde main. Et, à 25 ans, il se voit confier par son aîné – sans joie ni gratitude, inconscient de faire des envieux, avoue-t-il – la direction du colloque de Cerisy-la-Salle qui lui est consacré. Compagnon se souvient aussi d’un voyage dans sa maison du sud-ouest, il raconte les différents cercles qui entourent Barthes et commente son œuvre, se montrant parfois critique envers certains livres  de «cet écrivain de circonstance», la plupart d’entre eux répondant à des commandes (tel celui sur Racine). Il évoque aussi l’entrée de l’auteur des Mythologies au Collège de France, assistant à sa leçon inaugurale, ou sa soudaine notoriété acquise suite à son passage à Apostrophes aux côté de Françoise Sagan et de l’auteur d’Angélique, marquise des anges. Et, après un beau passage où il rend visite à son ami sur son lit de mort, conservant comme ultime vision «des larmes d’enfants», il énumère les quelques objets et images qu’il conserve de lui. (Gallimard)

Voir aussi : Portrait d’Antoine Compagnon en essayiste et professeur
Voir aussi : Antoine Compagnon

Sorties de presse des ULgistes - automne 2015
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